Avant 2022 et l’invasion russe en Ukraine, Julie Poly a réalisé un projet inédit sur l’atmosphère si particulière des trains de son pays. À la croisée de la photographie documentaire et de mode, ses images, mises en scène dans Ukrzaliznytsia, nous replongent dans cette vie d’avant la guerre.
Des pin-up en tenue léopard allongées dans leurs couchettes, des soldats en permission, un couple faisant ses adieux sur le quai de la gare, de jeunes marié·es fêtant leurs noces au wagon-bar… Voilà quelques scènes de vie flashées sous l’œil taquin de Julie Poly. Avant d’être photographe, l’autrice a travaillé pour la compagnie ferroviaire nationale Ukrzaliznytsia – du nom de son projet – à Kharkiv. Ses nombreux voyages en train, professionnels comme personnels, lui inspirent alors des compositions qui réinterprètent les codes culturels et visuels d’un quotidien typiquement ukrainien, jouant avec des thèmes qui lui sont chers tels que l’érotisme, la mode et les canons esthétiques. Elle qualifie son approche artistique de « pseudo-documentaire » : les images sont mises en scène, basées sur de personnes et de situations réelles. « Je voulais créer un sentiment surréaliste, en ajoutant à la réalité des éléments grotesques, car l’humour et l’autodérision sont une manière intéressante d’engager un dialogue », explique-t-elle.
De 2018 à 2020, Julie Poly s’entoure d’une équipe de modèles, stylistes et d’expert·es en beauté ukrainien·nes et internationales·aux, pour recréer treize histoires de voyages vers une destination particulière du pays. Le design de son livre, aboutissement final du projet, a été imaginé sur le modèle des sacs de literie distribués aux passager·es à leur montée à bord. Aujourd’hui, dans le contexte de la guerre, ce projet convoque une tout autre dimension. « Les images évoquent une époque antérieure à l’invasion à grande échelle, où les périples en train sont synonymes du transport des réfugiés, de l’aide au front, de séparation tragique… Cette dualité est difficile à concilier, mais j’espère et je crois vraiment qu’un jour Ukrzaliznytsia reprendra ses activités normales », confie-t-elle.