Zones Grises : Vanda Spengler donne vie à ses fantômes ancrés

04 novembre 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Zones Grises : Vanda Spengler donne vie à ses fantômes ancrés
© Vanda Spengler
© Vanda Spengler
© Vanda Spengler

Voyage introspectif viscéral, Zones Grises fige une période de transition dans l’existence de sa créatrice, Vanda Spengler. Une œuvre brute croisant beauté et violence pour interroger notre rapport au corps, à l’intimité et au temps.

Un monde sans couleur, où les corps s’enlacent, s’embrassent, se tordent. Où les chiens aboient et les flocons tombent, comme des poussières de souvenirs, sur le sol. Un monde où l’amour, le deuil, l’inconnu et le passé fusionnent pour composer une mélodie mélancolique qui ne semble jamais s’estomper… Bienvenue dans l’univers de Vanda Spengler. « Je suis née au sein d’une famille fantasque et amoureuse des mots, très à l’aise avec le corps et avide de transgression comme de liberté. Après un bac décroché par hasard, j’ai travaillé dans des théâtres pour être indépendante, chanté dans des groupes avec mes amoureux. J’ai su très tôt que l’image serait mon médium de prédilection. Passionné de cinéma, c’est à travers ce prisme que j’ai découvert la photographie. J’ai réalisé beaucoup d’autoportraits, par facilité. Puis, le besoin de capter les autres dans ce qu’iels ont de plus brut et déséquilibré s’est imposé à moi », raconte-t-elle.

Plonger dans les créations de l’artiste, c’est s’immerger dans quelque chose de viscéral. Une pulsion instinctive, qui provient des entrailles, qui résonne en écho dans la nuit noire. Une approche « primitive, inspirée de films qui [l’]ont touchée, de thématiques cathartiques et pulsionnelles ». Loin de vouloir « faire du beau » ou de s’oublier dans la technique, Vanda Spengler s’intéresse au contraire à susciter – ou à retranscrire – l’émotion la plus sincère. À rester honnête quoiqu’il advienne, malgré les failles, les défauts, la tristesse et les hésitations.

© Vanda Spengler
© Vanda Spengler
© Vanda Spengler

Les névroses et leurs intransigeances

C’est en 2022 que naît Zones Grises. « J’étais alors en grosse crise de la quarantaine, en remise en question de partout », se souvient la photographe. Pour tenter de donner du sens à ce tumulte existentiel, elle se plonge alors dans ses images et entame un voyage introspectif aux frontières de sa propre intimité. « La série raconte des miettes de moi, des fragments dispersés. Des rencontres qui s’entrecroisent puis s’éteignent. J’ai tenté de donner vie à mes peurs enfouies, mes démons tenaces, mes blessures mal cicatrisées, mes fantômes ancrés », confie-t-elle. De la douceur d’une étreinte fugace dans les salles obscures d’un cinéma aux replis d’une peau ridée que l’on tord. Des yeux clos d’un enfant perdu en plein songe, à ceux fermés pour l’éternité d’un animal étendu sur le sol, Vanda Spengler fait de son projet un espace où les nuances se multiplient et se teintent d’une profonde nostalgie. Dans un monochrome cru, où les flashs semblent crier, défigurer, maltraiter, elle marque cette période de transition au fer blanc.

Un geste courageux qui lui semble emblématique d’une écriture photographique féminine : « j’ai l’impression que la plupart de mes consœurs sortent leurs tripes dans leurs images et mettent beaucoup d’intimité dans leur approche. Nous sommes nombreuses à commencer par l’autoportrait pour nous réapproprier une vision si souvent altérée (…) Zones Grises pousse un peu plus le curseur du dépouillement, peut-être. Elle m’a permis de bouger quelques lignes, d’accepter mes névroses et leurs intransigeances », affirme-t-elle. Et, dans l’obscurité qui l’entoure, elle révèle des apparitions subites. Belles ou monstrueuses, celles-ci nous guident à travers les ténèbres, révèlent les doutes et les peurs, les désirs et les manques. Elles illuminent les rapprochements charnels et les montées d’adrénaline, les lambeaux des silhouettes qui deviennent des ruines, abimées par le temps et celles, soudain si fragiles, des cadavres d’insectes laissés à l’abandon. Elles soulignent le froid de l’extérieur, quand l’absence nous fait perdre la direction de notre foyer, et la chaleur d’un sourire enfantin à l’insouciance contagieuse. Pétrie de nuances et d’explorations variées, Zones Grises se lit comme un hommage à l’existence, dans toute sa complexité. « La dégradation de toutes choses est une thématique essentielle pour moi. Il faut se rappeler que chaque jour nous rapproche de la mort mais qu’on peut s’accrocher aux quelques jolies branches de vies et de partages qui s’offrent à nous malgré tout », conclut l’autrice.

© Vanda Spengler

© Vanda Spengler
© Vanda Spengler
© Vanda Spengler
© Vanda Spengler
© Vanda Spengler
© Vanda Spengler
© Vanda Spengler
À lire aussi
Elie Monférier sacralise la finitude de l’Homme
Elie Monférier sacralise la finitude de l’Homme
Après Sang Noir, Elie Monférier a composé Sacre, un récit tout aussi viscéral. Second volet d’une trilogie en cours, l’ouvrage…
19 avril 2022   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Focus : raconter le monde en noir et blanc
Focus : raconter le monde en noir et blanc
Créé il y a un an par les équipes de Fisheye, Focus est un format innovant qui permet de découvrir une série photo en étant guidé par la…
15 mars 2023   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Explorez
RongRong & inri : « L'appareil photo offre un regard objectif sur le sentiment amoureux »
Personal Letters, Beijing 2000 No.1 © RongRong & inri
RongRong & inri : « L’appareil photo offre un regard objectif sur le sentiment amoureux »
Le couple d’artiste sino‑japonais RongRong & inri, fondateur du centre d’art photographique Three Shadows, ouvert en 2007 à Beijing...
Il y a 7 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Dans l’œil de Valentine de Villemeur : un réfrigérateur révélateur
© Valentine de Villemeur
Dans l’œil de Valentine de Villemeur : un réfrigérateur révélateur
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil de Valentine de Villemeur. La photographe a consigné le parcours de sa procréation...
01 septembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Yu Hsuan Chang : des femmes et des montagnes
G-Book © Yu Hsuan Chang
Yu Hsuan Chang : des femmes et des montagnes
Dans des collectes effrénées d’images, la photographe taïwanaise Yu Hsuan Chang transcrit autant la beauté de son pays que la puissance...
25 août 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
La sélection Instagram #520 : à fleur de peau
© Neoklis Delegos / Instagram
La sélection Instagram #520 : à fleur de peau
Il est un sens dont on ne peut se passer : le toucher. La peau, point de contact entre soi et l’autre, devient un intermédiaire. Les...
19 août 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Nos derniers articles
Voir tous les articles
RongRong & inri : « L'appareil photo offre un regard objectif sur le sentiment amoureux »
Personal Letters, Beijing 2000 No.1 © RongRong & inri
RongRong & inri : « L’appareil photo offre un regard objectif sur le sentiment amoureux »
Le couple d’artiste sino‑japonais RongRong & inri, fondateur du centre d’art photographique Three Shadows, ouvert en 2007 à Beijing...
Il y a 7 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Les expositions photo à ne pas manquer en 2025
Sein und werden Être et devenir. FREELENS HAMBURG PORTFOLIO REVIEWS © Simon Gerliner
Les expositions photo à ne pas manquer en 2025
Les expositions photographiques se comptent par dizaines, en France comme à l’étranger. Les artistes présentent autant d’écritures que de...
03 septembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Les Femmes et la mer : mondes liquides
© Louise A. Depaume, Trouble / courtesy of the artist and festival Les Femmes et la mer
Les Femmes et la mer : mondes liquides
Cette année, le festival photographique du Guilvinec, dans le Finistère, prend un nouveau nom le temps de l'été : Les femmes et la mer....
03 septembre 2025   •  
Écrit par Milena III
Les photographes montent sur le ring
© Mathias Zwick / Inland Stories. En jeu !, 2023
Les photographes montent sur le ring
Quelle meilleure façon de démarrer les Rencontres d’Arles 2025 qu’avec un battle d’images ? C’est la proposition d’Inland Stories pour la...
02 septembre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot