Première lauréate du Prix Fisheye de la création visuelle, Juliette Alhmah signe, à l’occasion de notre numéro des 10 ans, la première couverture de commande du magazine. À l’origine de Toujours Diane, l’artiste française nous plonge dans un univers où le Soleil culmine pour ne jamais plus se coucher. Sous sa lumière agressive, les zones d’ombre se sont évanouies. Le sommeil et les rêves se dressent alors comme le dernier rempart ou refuge en perdition face à ce monde dystopique. Prenant source dans le réel, la série entremêle archives de l’Observatoire de Paris et tirages couleurs ou monochromes, réalisés à partir une pellicule dépourvue de couches antihalo. Elle puise d’ailleurs son inspiration dans le projet Znamia, un consortium russe et européen dont l’objectif avorté était de lancer en orbite des satellites conçus pour renvoyer la lumière du Soleil sur les zones où il faisait nuit. Celles et ceux qui sont de passage à Arles pour les Rencontres photographiques pourront retrouver son œuvre sensible et poétique sur les cimaises de la Fisheye Gallery. Les autres pourront la (re)découvrir dans l’épisode de Focus qui lui est consacré. Aujourd’hui, Juliette Alhmah se prête à l’exercice du portrait chinois.
Si tu étais…
Une de tes images ?
Je crois que je pourrais être beaucoup de mes images parce qu’elles traduisent mon point de vue, mon émotion du moment. Là tout de suite je dirais celle qui est aussi mon fond d’écran de portable, comme pour l’emmener un peu partout avec moi. C’est une photo en noir et blanc du reflet, dans un miroir, d’un fragment d’un corps que j’aime dans le coin d’une chambre. C’était l’une des premières fois que je me tenais là, dans une chambre qui n’était pas la mienne. Il y avait du bazar, les livres qu’on lisait posés ici et là, et de la poussière sur le miroir. J’aime cette photo parce qu’elle me rappelle où je me trouvais quand je l’ai prise, ce que je ressentais : l’amour, la découverte de nos corps, la création d’une intimité, la confiance, la fragilité et la délicatesse des sentiments. C’est cela aussi la force de la photographie : s’approprier un lieu, raconter des instants, transcrire dans un autre langage les émotions.
Une lumière ?
Une lumière de fin de journée à travers une fenêtre.
« C’est une sorte de vestige de ma crise identitaire et de mes questionnements. Je crois que je l’ai gardé parce qu’il me donne l’impression de pouvoir tracer mon chemin toute seule. »
Une planète ?
Ce n’est pas vraiment une planète mais ce serait la Lune.
Un sujet à explorer ?
Un seul ce n’est pas possible ! Les êtres humains me fascinent pour leur complexité, leur étrangeté, leurs corps, leur rapport au temps, à l’amour et à la mort.
Une émotion ?
La mélancolie. Elle nourrit beaucoup mon imaginaire et m’aide à créer des images.
Un paysage ?
L’océan.
Un personnage ?
Agnès Varda. J’aurais aimé la rencontrer, je suis très admirative de son travail, de son discours, de sa simplicité et de sa liberté.
Une période historique ?
Les années 1960.
Un animal ?
Le chat.
Un objet ?
Une pièce, offerte par mon amoureux, qui m’aide à faire un choix à pile ou face.
Un livre ?
L’Amant de Marguerite Duras.
Un film ?
Je pourrais citer tellement de films, mais récemment, j’ai découvert Je, tu, il, elle de Chantal Akerman qui m’a immensément inspiré.
Un penseur et sa citation ?
« Et j’oppose à l’amour des images toutes faites au lieu d’image à faire » de Paul Éluard.
Une anecdote ou un secret ?
Alhmah ce n’est pas mon vrai nom de famille, c’est un nom que j’ai inventé à l’adolescence. C’est le mélange du nom de famille de mon père et de ma mère. C’est une sorte de vestige de ma crise identitaire et de mes questionnements. Je crois que je l’ai gardé parce qu’il me donne l’impression de pouvoir tracer mon chemin toute seule, qu’il traduit l’idée que je suis à la fois le mélange de deux personnes, mais que j’ai aussi ma propre identité.