Artiste, queer et militant·e, Ame Blary photographie les transitions et les retours à soi dans une prose visuelle où la douceur est engagée. Autant de clichés pour faire le portrait d’un présent où se devine un futur souhaitable.
Sous l’œil orange, la chaire est chaude. Des cicatrices barrent les poitrines, marquant non les ailes arrachées, mais le lieu, intérieur, où elles se trouvaient déjà. De portraits en portraits, scénographie scrupuleuse des identités trans, queer, non binaire, Ame Blary restitue aux corps les personnes qui les habitent « Mon corps, débordant des standards, n’a, de ce fait, pas réussi à s’ancrer dans l’espace normé. La norme, mince avant tout, glorifiée par la société, m’a poussé à représenter un autre standard. Un travail artistique mêlant poésie de l’âme et poésie corporelle », déclare l’artiste. Iel est d’abord venu·e à la photographie par l’Urbex. Puis, des rencontres – la photographe Sandra Melh à l’université de Montpellier – et des chocs esthétiques et artistiques – Vivian Sassen, Alexandra Rakacha, Nanténé Traoré – formalisent son travail autour des corps et de leurs transitions. « Déconstruire, reconstruire des normes, des identités, des masculinités et des féminités alternatives, mon travail s’oriente vers l’engagement pour ma communauté. J’ai très vite compris que celui-ci serait politique et engagé » résume-t-iel. Entre projets personnels et portraits, Ame Blary appose sur les personnes qu’iel photographie la douceur d’un éclairage doux et d’une couleur. « Orange, c’est le point central de mes créations et de mon individualité. Orange, symbole de joie, d’expression des émotions, de contact humain. Il a toujours résonné en moi comme une évidence. Aujourd’hui, il apparaît dans mes photos comme marquage d’un nouvel espace-temps. Celui dans lequel l’expression de soi est maître ».
Une insouciance retrouvée
Ici le soi fait chair, reconquiert ou retrouve. « Je travaille avec les plis, les cicatrices, les poils, les scarifications, les tatouages, les bourrelets (…) c’est ça, pour moi qui fais du corps une matière unique et singulière. Le nu a toujours été une évidence sans pour autant le conscientiser. Je trouve particulièrement intéressant de travailler avec la matière-chair plutôt qu’avec du tissu ou des vêtements. » Si la violence de la norme s’y lit en négatif par les traces des combats menés contre ses assignations, la sensualité d’une sucette léchée à deux ou d’une fraise offerte à soi étendue sur une couverture herbeuse, y apparait comme une insouciance retrouvée. « Il m’est devenu impératif d’essayer de reconstruire, de réparer à travers la photographie », précise Ame Blary.
Loin de la figure de l’artiste tout·e puissant·e, iel propose et coconstruit avec ses sujets l’espace de représentation. Il s’agit d’abord de créer « une place réparatrice, comme un doux moment pour soi, pour s’aimer, s’apprécier et se réapproprier son corps, son genre ou son identité ». Les tons acidulés et la surexposition y dessinent une image hors du temps, empreinte d’une tendresse à venir. Si rien n’est caché – photographie d’une seringue qui rappelle le Testo Junkie de Paul B. Préciado – si les corps parfois grimacent, l’image les recoud et les restitue à une normalité souhaitable, c’est-à-dire indéfinie. « Au-delà de la représentation des corps queers en évolution, je tends à exposer le quotidien de personnes qui vivent comme les autres, c’est-à-dire avec de l’amour, des relations sociales, un travail, un quotidien, une routine, etc. C’est en ça que je vois l’insouciance dans la forme finale de mon travail », conclut-iel.