Ame Blary : tendre au combat

08 mai 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
Ame Blary : tendre au combat
© Ame Blary
© Ame Blary

Artiste, queer et militant·e, Ame Blary photographie les transitions et les retours à soi dans une prose visuelle où la douceur est engagée. Autant de clichés pour faire le portrait d’un présent où se devine un futur souhaitable. 

Sous l’œil orange, la chaire est chaude. Des cicatrices barrent les poitrines, marquant non les ailes arrachées, mais le lieu, intérieur, où elles se trouvaient déjà. De portraits en portraits, scénographie scrupuleuse des identités trans, queer, non binaire, Ame Blary restitue aux corps les personnes qui les habitent « Mon corps, débordant des standards, n’a, de ce fait, pas réussi à s’ancrer dans l’espace normé. La norme, mince avant tout, glorifiée par la société, m’a poussé à représenter un autre standard. Un travail artistique mêlant poésie de l’âme et poésie corporelle », déclare l’artiste. Iel est d’abord venu·e à la photographie par l’Urbex. Puis, des rencontres – la photographe Sandra Melh à l’université de Montpellier – et des chocs esthétiques et artistiques – Vivian Sassen, Alexandra Rakacha, Nanténé Traoré – formalisent son travail autour des corps et de leurs transitions. « Déconstruire, reconstruire des normes, des identités, des masculinités et des féminités alternatives, mon travail s’oriente vers l’engagement pour ma communauté. J’ai très vite compris que celui-ci serait politique et engagé » résume-t-iel. Entre projets personnels et portraits, Ame Blary appose sur les personnes qu’iel photographie la douceur d’un éclairage doux et d’une couleur. « Orange, c’est le point central de mes créations et de mon individualité. Orange, symbole de joie, d’expression des émotions, de contact humain. Il a toujours résonné en moi comme une évidence. Aujourd’hui, il apparaît dans mes photos comme marquage d’un nouvel espace-temps. Celui dans lequel l’expression de soi est maître ».

© Ame Blary
© Ame Blary
© Ame Blary

Une insouciance retrouvée

Ici le soi fait chair, reconquiert ou retrouve. « Je travaille avec les plis, les cicatrices, les poils, les scarifications, les tatouages, les bourrelets (…) c’est ça, pour moi qui fais du corps une matière unique et singulière. Le nu a toujours été une évidence sans pour autant le conscientiser. Je trouve particulièrement intéressant de travailler avec la matière-chair plutôt qu’avec du tissu ou des vêtements. » Si la violence de la norme s’y lit en négatif par les traces des combats menés contre ses assignations, la sensualité d’une sucette léchée à deux ou d’une fraise offerte à soi étendue sur une couverture herbeuse, y apparait comme une insouciance retrouvée. « Il m’est devenu impératif d’essayer de reconstruire, de réparer à travers la photographie », précise Ame Blary.

Loin de la figure de l’artiste tout·e puissant·e, iel propose et coconstruit avec ses sujets l’espace de représentation. Il s’agit d’abord de créer « une place réparatrice, comme un doux moment pour soi, pour s’aimer, s’apprécier et se réapproprier son corps, son genre ou son identité ». Les tons acidulés et la surexposition y dessinent une image hors du temps, empreinte d’une tendresse à venir.  Si rien n’est caché – photographie d’une seringue qui rappelle le Testo Junkie de Paul B. Préciado – si les corps parfois grimacent, l’image les recoud et les restitue à une normalité souhaitable, c’est-à-dire indéfinie. « Au-delà de la représentation des corps queers en évolution, je tends à exposer le quotidien de personnes qui vivent comme les autres, c’est-à-dire avec de l’amour, des relations sociales, un travail, un quotidien, une routine, etc. C’est en ça que je vois l’insouciance dans la forme finale de mon travail », conclut-iel.

© Ame Blary
© Ame Blary

© Ame Blary

© Ame Blary
© Ame Blary

© Ame Blary
© Ame Blary

© Ame Blary

À lire aussi
Kler : le récit tendre et radical d'une transition
© Joël Alain Dervaux
Kler : le récit tendre et radical d’une transition
Kler, états de présence est le solo show de Joël Alain Dervaux, qui suit depuis des années la transition d’un jeune homme, Kler. Avec une…
20 mars 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
Dix ans de souvenirs photographiques : électro, pensée queer et curieux érotisme
© Anaïs Tohé-Commaret & Nicolas Jardin, Way Out (Maud Geffray)
Dix ans de souvenirs photographiques : électro, pensée queer et curieux érotisme
À l’occasion des dix ans de Fisheye, les membres de sa rédaction reviennent, à tour de rôle, sur trois éléments qui les ont…
04 août 2023   •  
Écrit par Milena III
Dans l’œil de Nanténé Traoré : des limbes de l'idée à l'évanescence de l'image
© Nanténé Traoré
Dans l’œil de Nanténé Traoré : des limbes de l’idée à l’évanescence de l’image
Artiste visuel et auteur, Nanténé Traoré – qui était revenu pour nous sur sa série Tu vas pas muter, une histoire de tendresse et de…
29 janvier 2024   •  
Écrit par Milena III
Explorez
Marc Riboud : dix ans de conflit vietnamien dans une exposition
À la sortie de l'école dans un village de la côte, Nord Vietnam, 1969 © Marc Riboud / Fonds Marc Riboud au musée Guimet
Marc Riboud : dix ans de conflit vietnamien dans une exposition
Le musée Guimet des Arts asiatiques et l’association Les Amis de Marc Riboud s’unissent pour présenter l’exposition Marc Riboud –...
18 avril 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Basile Pelletier et Sølve Sundsbø conversent : « La curiosité est ma principale source d'inspiration »
Le linge, 2021 © Basile Pelletier
Basile Pelletier et Sølve Sundsbø conversent : « La curiosité est ma principale source d’inspiration »
Le jeune talent Basile Pelletier, 21 ans, ancien élève de la section art et image de l’école Kourtrajmé, échange avec le photographe...
17 avril 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
La sélection Instagram #502 : rebelle un jour, rebelle toujours
© Piotr Pietrus / Instagram
La sélection Instagram #502 : rebelle un jour, rebelle toujours
Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine font résistance. Résistance contre l’oppression, contre les diktats, contre les...
15 avril 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Fotohaus Bordeaux 2025 : des existences engagées
© Olivia Gay
Fotohaus Bordeaux 2025 : des existences engagées
La quatrième édition de Fotohaus Bordeaux a commencé. Jusqu’au 27 avril 2025, l’Hôtel de Ragueneau accueille l’événement qui, cette...
12 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les images de la semaine du 14 avril 2025 : mémoire et conversations
© Louise Desnos
Les images de la semaine du 14 avril 2025 : mémoire et conversations
C’est l’heure du récap ! Récits intimes, histoires personnelles ou collectives, approches de la photographie… Cette semaine, la mémoire...
20 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Eulogy : Sander Coers et les traumatismes intergénérationnels
© Sander Coers
Eulogy : Sander Coers et les traumatismes intergénérationnels
Au fil de ses projets, Sander Coers sonde la mémoire en s’intéressant notamment à l’influence que nos souvenirs exercent sur notre...
19 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
12 expositions photographiques à découvrir en avril 2025
© Delali Ayivi
12 expositions photographiques à découvrir en avril 2025
L’arrivée du printemps fait également fleurir de nombreuses expositions. Pour occuper les journées qui s’allongent ou les week-ends...
18 avril 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Marc Riboud : dix ans de conflit vietnamien dans une exposition
À la sortie de l'école dans un village de la côte, Nord Vietnam, 1969 © Marc Riboud / Fonds Marc Riboud au musée Guimet
Marc Riboud : dix ans de conflit vietnamien dans une exposition
Le musée Guimet des Arts asiatiques et l’association Les Amis de Marc Riboud s’unissent pour présenter l’exposition Marc Riboud –...
18 avril 2025   •  
Écrit par Marie Baranger