Le langage des fleurs selon des photographes de Fisheye

20 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Le langage des fleurs selon des photographes de Fisheye
© Jana Sojka
Image abstraite d'un coquelicot.
© Etienne Francey

Les photographes de Fisheye ne cessent de raconter les préoccupations de notre époque. Parmi les motifs qui reviennent fréquemment se trouvent les fleurs qui, de manière poétique, portent en elles divers récits. En ce premier jour du printemps, nous mettons en lumière Étienne Francey, Jana Sojka et Anaïs Tondeur, trois artistes qui ont fait de ces végétaux l’une de leurs muses de prédilection. 

En art, les fleurs ont eu tôt fait de s’imposer comme un lieu commun sinon un motif récurrent. Porteuses d’une multitude de significations, elles disposent même de leur propre langage. Un certain nombre de photographes a puisé dans cette palette poétique dont l’évocation suffit à éveiller les sens. À la vue des couleurs et des formes de ces végétaux, le souffle d’une brise les effleurant et emportant leur parfum sur son passage nous vient volontiers à l’esprit. Parfois, nous imaginons aisément le goût frais ou sucré de certains d’entre eux. Sur les tirages, ils deviennent le support de différents discours. Étienne Francey, qui est actuellement exposé à la Fisheye Gallery parisienne, les envisage comme une muse singulière qui participe à l’élaboration d’une esthétique picturale et abstraite. Jana Sojka leur confère une dimension mémorielle tandis qu’Anaïs Tondeur signe un herbier qui témoigne des liens qui nous unissent à la nature. 

© Anaïs Tondeur
© Jana Sojka
Image abstraite de fleurs, avec un trace jaune
© Etienne Francey

Une variété d’émotions

Ce 20 mars signe le retour d’un printemps timide. Parmi les éléments qui le caractérisent se trouvent les fleurs. Dans ses compositions, Étienne Francey les sublime à la manière d’un poète. Devant son objectif, la nature n’a de cesse de se renouveler. Elle incarne un terrain d’expérimentations sans pareil. Tour à tour, les végétaux fragiles se métamorphosent dans un mouvement inattendu. Leurs contours s’étirent, se nimbent de flou, scintillent. Les nuances sont éclatantes et invitent à la contemplation. « Les fleurs sont les zones de couleurs qui me permettent de créer des taches, des traits sur mes photos. C’est donc mon salut dans une nature très (et trop) verte », nous expliquait-il récemment, à l’occasion de son exposition Florescence, à découvrir jusqu’au 5 avril prochain. Élaboré à partir de multiples outils et techniques, l’ensemble se révèle pictural. « Ce qui m’inspire dans l’impressionnisme, c’est la transformation du réel, le fait de ne pas chercher à reproduire la réalité », ajoutait-il. De fait, ses tirages s’éprouvent. Ils possèdent un aspect méditatif et invitent à la projection. La flore devient dès lors le vecteur d’une large variété d’émotions.

Image abstraite de plantes sur un ciel bleu sombre.
© Etienne Francey
© Jana Sojka

La mémoire du végétal

Les fleurs peuplent les collages de Jana Sojka. Qu’il s’agisse de roses, de pensées, de pétunias ou de lys, tous apparaissent dans la nuit bleue. Souvent, des mains solitaires cherchent à les cueillir. Parfois, ils émettent même un rayon lumineux. Ils sont recouverts de peinture. Ils ondulent sur un rythme que nous ignorons. « Chaque image floue représente un morceau de mon identité fragmentée. Les bords doux reflètent les couches de l’existence déplacée, où le familier devient inconnu et l’étranger intime », nous assurait l’artiste. Ainsi, les fleurs ponctuent subtilement cette mosaïque végétale qui symbolise autant la renaissance que l’éphémère. Elles donnent une autre lecture aux œuvres. « La mémoire façonne la manière dont je capture tout, appuyait-elle. Il est toujours question du passage du temps, du fait que tout est temporaire, de ce sentiment troublant de n’être ni ici ni là. »

Les fleurs portent effectivement en elle une mémoire, nous confirme l’étonnant herbier d’Anaïs Tondeur, photographe qui se plaît à entremêler sa pratique du 8e art à une approche scientifique. Dans Fleurs de feux, le témoignage des cendres, elle cristallise les « interdépendances profondes qui relient nos existences humaines à la trame du vivant ». Son sujet d’étude gravite autour des végétaux qui parviennent à pousser dans les sols extrêmes de l’anthropocène. Par essence, ceux-ci s’avèrent contaminés par la pollution ambiante. Pour saisir leurs contours, elle les dépose, sans les couper, sur une surface photosensible. « Associés à une exposition à une intense source de lumière, le césium-137 et le strontium-90, qui innervent le corps de la plante, participent à l’émergence du végétal sur la plaque photographique. Ainsi, ces rayogrammes sont eux-mêmes radioactifs, nous a-t-elle expliqué il y a quelques mois. Ils forment ce que le philosophe Michael Marder [aux côtés de qui elle travaille depuis 2015, ndlr] décrit comme les “traces tangibles du désastre invisible”. » À travers cette démarche transversale, elle sonde le passé afin de mettre en exergue ce qui échappe à un monde maîtrisé. L’objectif consiste alors à « ouvrir des trajectoires vers une écologie non punitive : vers une écologie joyeuse », promet-elle. Si certains stéréotypes réduisent les fleurs à de simples éléments ornementaux, ici, les artistes démontrent finalement leur pouvoir évocateur et leur faculté à signifier des changements, quels qu’ils soient.

© Anaïs Tondeur
© Anaïs Tondeur
À lire aussi
Florescence : Étienne Francey cultive son jardin imaginaire
Croissant de lune © Etienne Francey
Florescence : Étienne Francey cultive son jardin imaginaire
La Fisheye Gallery accueille le jardin imagé du photographe suisse Étienne Francey du 6 mars au 5 avril 2025. Intitulée Florescence…
01 mars 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Quand l’étranger devient intime : les dialogues ininterrompus de Jana Sojka
© Jana Sojka
Quand l’étranger devient intime : les dialogues ininterrompus de Jana Sojka
Jana Sojka imagine des diptyques afin de donner cours à un dialogue ininterrompu. Dans un nuancier crépusculaire lui inspirant sérénité…
17 mai 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Anaïs Tondeur : se cultiver aux côtés des fleurs des marges
Living Herbarium © Anaïs Tondeur
Anaïs Tondeur : se cultiver aux côtés des fleurs des marges
Dans chacun de ses projets, Anaïs Tondeur associe sa pratique du 8e art à une approche scientifique. Ses séries s’intéressent ainsi à…
14 mars 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Explorez
Dans l’œil d’Aletheia Casey : le rouge de la colère et du feu
© Aletheia Casey
Dans l’œil d’Aletheia Casey : le rouge de la colère et du feu
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil d’Aletheia Casey, dont nous vous avons déjà parlé il y a quelques mois. Pour Fisheye, elle...
28 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les images de la semaine du 21 avril 2025 : la Terre à l’honneur
© Thomas Amen
Les images de la semaine du 21 avril 2025 : la Terre à l’honneur
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye célèbrent la Terre. Dans des approches disparates, les photographes évoquent...
27 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Rephotographier les monts Uinta pour montrer que le changement climatique s’accélère
© William Henry Jackson, 1870 et Joanna Corimanya, Anahi Quezada, et Town Peterson, 2024.
Rephotographier les monts Uinta pour montrer que le changement climatique s’accélère
En septembre 2024, le géologue Jeff Munroe et l’écologiste Joanna Corimanya entreprenaient un trek de 50 kilomètres dans la toundra des...
23 avril 2025   •  
Écrit par Thomas Andrei
Les photographes dans Fisheye célèbrent la Terre, sa fragilité et sa grandeur
Camsuza © Julie Arnoux
Les photographes dans Fisheye célèbrent la Terre, sa fragilité et sa grandeur
Les photographes publié·es sur Fisheye ne cessent de raconter, par le biais des images, les préoccupations de notre époque. À...
22 avril 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Daniel Obasi : l'étoffe de la révolte
Beautiful Resistance © Daniel Obasi
Daniel Obasi : l’étoffe de la révolte
À Lagos, Daniel Obasi, 30 ans, met en lumière les communautés marginalisées du Niger à travers une mode émancipatrice et...
Il y a 2 heures   •  
Écrit par Milena III
Santé mentale et photographie : 22 séries qui expriment les maux
© No Sovereign Author
Santé mentale et photographie : 22 séries qui expriment les maux
La santé mentale est la grande cause de l’année 2025 en France. Pour cette occasion, la rédaction de Fisheye vous invite à (re)découvrir...
07 mai 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Antoine Boissonot sur sa Loire intérieure
L'eau du fleuve parle à celui qui écoute © Antoine Boissonot
Antoine Boissonot sur sa Loire intérieure
Antoine Boissonot embarque sur la Loire à bord d’un canoë pour un voyage photographique introspectif. Se laissant porter sur l’eau...
07 mai 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
À la Bourse de commerce, Deana Lawson suscite la réflexion
Bendy, 2019. Pinault Collection. © Deana Lawson / courtesy de l’artiste et de David Kordansky Gallery
À la Bourse de commerce, Deana Lawson suscite la réflexion
Jusqu’au 25 août 2025, la Bourse de commerce, à Paris, accueille la première exposition monographique de Deana Lawson en France. Sur les...
06 mai 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet