Dans Companions, publié aux éditions Loose Joints, la photographe allemande Yana Wernicke capte la douceur d’un lien souvent ignoré : celui qui relie les humain·es aux animaux, au-delà des logiques d’exploitation. Au fil de ses images, elle compose un monde où les gestes remplacent les mots et où la frontière entre espèces se dissout dans la tendresse et le respect.
Les photographies de Companions ne décrivent pas : elles frôlent, caressent, effleurent. Un sabot, un museau, un pelage… Les corps dialoguent en silence, avec une présence humaine toujours attentive, jamais envahissante. Yana Wernicke a préféré le langage des gestes à celui des mots. Ses images en noir et blanc sont paisibles, mais vibrantes. Née d’un temps long, cette œuvre n’a rien d’un documentaire animalier. « Pendant près de deux ans et demi, j’ai continué à revenir pour passer du temps avec eux et les photographier », explique-t-elle. Comme dans un conte, elle nous entraîne dans un monde rêvé, où la morale n’est jamais dite, mais toujours suggérée. Julie et Rosina, les deux femmes au cœur de ce récit visuel, vivent en dehors du vacarme du monde. Elles ont chacune, à leur manière, ouvert un abri, un refuge, une échappée pour des animaux promis à l’abattoir ou à la solitude. Elles résident avec eux, dorment parfois tout près, et surtout, les regardent. Et ce regard, Yana Wernicke l’attrape, sans le figer.
« J’ai été profondément impressionnée par la façon dont elles ont assumé l’énorme responsabilité de s’occuper d’un si grand nombre d’animaux, souvent avec peu ou pas de soutien extérieur. L’amitié qu’elles entretiennent avec les animaux ne ressemble à rien de ce que j’avais vu auparavant. Il ne s’agit pas seulement de soins à sens unique – aussi importants soient-ils – mais plutôt d’une véritable camaraderie qui s’exprime dans les deux sens », explique-t-elle. Le mot « camaraderie » est rare dans les textes sur les animaux. Il évoque le partage d’un chemin et, justement, en allemand, companions ou weggefährten signifient littéralement « ceux qui font route ensemble ». Il n’y a pas, ici, d’images spectaculaires ni de scènes édifiantes. L’émotion se cache dans la texture d’un poil, le pli d’un coude replié autour d’un petit cochon ou la posture d’une vache qui s’abaisse pour accueillir sa bienfaitrice. « J’ai choisi de photographier ce projet en noir et blanc parce que cela m’a permis de me concentrer davantage sur les textures du corps des animaux – leur fourrure, leurs sabots et leur peau – ainsi que sur les gestes et les interactions entre les femmes et les animaux », relate l’artiste qui a commencé sérieusement la photographie lors d’un passage de quelques mois dans un sanctuaire pour singes au Cameroun. Bien plus qu’un effet esthétique, ce choix de colorimétrie permet de rendre les émotions encore plus sincères.
112 pages
47 €
La tendresse comme résistance
Dans une époque où les images de tortures envers les animaux saturent les réseaux et les campagnes militantes, Companions prend le contre-pied. Yana Wernicke ne détourne pas les yeux, mais elle choisit la douceur comme forme de résistance. « Je voulais créer un projet qui reflète mes propres convictions en matière de droits des animaux. Je n’étais pas intéressée par la perpétuation d’images de violence à leur égard. J’étais plutôt attirée par des visuels qui mettent en évidence les liens entre les animaux et les humains, guidés par l’empathie », défend-elle. Photographier sans aucune précipitation, s’asseoir dans l’herbe et attendre que les oies viennent d’elles-mêmes. Se taire pour que l’autre s’approche. C’est tout l’art de Yana Wernicke qui compose avec l’imprévisible des vivants non humains. Elle déclare : « Il est impossible de planifier lorsqu’on travaille avec des animaux, ils ont leur propre esprit. » Cette humilité devient une éthique de travail, entre consentement et politique.
À travers Rosina et Julie, l’artiste donne à voir une autre manière de cohabiter, loin des modèles utilitaristes. Pendant deux années, Yana Wernicke a notamment pu observer Alvar et Kjell, deux très jeunes porcelets que Rosina a recueillis dans sa maison tant ils étaient faibles. De même, l’image de Rosina entourée de ses oies Mira, Milo et Mika incarne cette cohabitation magique : « Les oies sont souvent mal comprises ; elles peuvent être très protectrices envers leur troupeau, mais elles sont aussi incroyablement douces et calmes lorsqu’elles se sentent en sécurité. » Au fil des pages, nous découvrons un monde dans lequel l’animal n’est plus une ressource, ni un objet de consommation ou d’étude, mais un compagnon. Un être sensible qui apporte tant au quotidien.