« Le visage du personnage, transcendé, semble lunaire, fondu dans la lumière de nuit. Il m’apparaît comme un genre de psychopompe, à l’intersection entre deux mondes : le jour et la nuit, la terre et le ciel, l’humain et le végétal, la vie et la mort. »
Aujourd’hui, plongée dans l’œil de SMITH, qui nous révèle les dessous de deux images issues de sa série Dami (Fulmen), réalisée lors de la résidence INSTANT au Château Palmer. L’artiste sonde les profondeurs du sol pour proposer des récits de cohabitation avec le vivant. Un échantillon de ce travail d’envergure est exposé jusqu’au 14 juin 2025 à la Galerie Leica à Paris.
Lauréat de la résidence INSTANT du Château Palmer (Leica x Château Palmer), SMITH compose Dami, la suite de son projet Désidération qui prenait essence dans le firmament et critiquait notre distanciation avec la nature et le désastre écologique en cours. Cette fois-ci, l’artiste s’enracine dans les sols et les vignes du château et tisse une relation intime avec le paysage en perpétuelle transformation. « Un hasard familial m’y attendait : j’ai appris que mes grands-parents maternels s’y étaient rencontrés lors d’une kermesse organisée par le domaine, révèle-t-il. Cette synchronicité m’a poussé à mener une enquête plus incarnée, psycho-géographique, guidée par les coïncidences, les intuitions, les signaux faibles charriés par mes propres racines. » Avec une caméra thermique, SMITH démasque l’invisible dans les vignes, et le paysage environnant, le replace au centre de nos liens avec la nature, lui rend son statut d’initiateur de notre existence : « Depuis les profondeurs stellaires jusqu’aux espèces-compagnes végétales, animales et minérales, nous partageons une mémoire atomique et un devenir commun », soutient le photographe. Mêlant photographie, vidéo, installation, sculpture et performance, dont une partie est exposée à la Galerie Leica jusqu’au 14 juin 2025, SMITH propose des récits alternatifs de cohabitation entre les espèces. « Je cherche à passer de l’infini céleste à l’intime du sol, des étoiles aux racines, à travers une exploration d’états interstitiels – transe, impesanteur, transition de genre, implantation de matériaux extraterrestres dont les œuvres sont la trace », précise-t-il. Sur les murs de la galerie, les impressions sur du papier aluminium aux couleurs vibrantes captivent les regards des visiteur·ses qui dansent autour de chaque image. Parmi ce corpus empreint de poésie, deux tirages se répondent. Une chose les rapproche : un tas de compost.
Un tas de compost
« Ces deux images sont issues de la série Dami (Fulmen) (2023-2024), elles ont été réalisées sur les terres médocaines de Palmer, plus précisément sur son tas de compost. Les vignes du Château sont exclusivement fertilisées par le compost issu des matières premières du terroir, c’est-à-dire à la fois par les rejets végétaux (des sarments broyés et des rafles de vendange) et par le cortège digestif de micro-organismes provenant du fumier des animaux qui y vivent et travaillent.
Sur la première image, dans une gamme de noir et blanc qui évoque une surface cendrée, un personnage humain se tient immobile sur un spectaculaire tas de compost. Rien ne le décrit comme tel sinon les éclats de lumière discrets qui s’échappent de l’image d’aluminium lorsque l’on se meut face à elle, indiquant que cette montagne est chaude, vivante, vibrante, en pleine transformation. Une montagne sacrée ! Le visage du personnage, transcendé, lunaire, se fond dans la lumière de nuit. Il m’apparaît comme un genre de psychopompe, à l’intersection entre deux mondes : le jour et la nuit, la terre et le ciel, l’humain et le végétal, la vie et la mort.
La seconde est un autoportrait dans ce même compost, où j’ai passé une nuit. “Mon” personnage est saisi dans le mouvement de sa propre métamorphose. Il semble danser dans un état fluide, symbiotique, xénogenre, à la frontière de l’humain et du non-humain, à l’endroit précis où les limites entre les espèces, les règnes, les temps, les formes se brouillent. Il se rêve comme une nouvelle forme de vie, en régénération sympoïétique qui persiste. Le compost est à mes yeux le lieu par excellence de la mutation, de la continuité, de la porosité entre vie et mort ; il est l’illustration que rien de ce qui a vécu ne meurt, que tout se dirige infiniment vers de nouvelles formes. »