Florence et Damien Bachelot, collectionneurs de rencontres

26 juin 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Florence et Damien Bachelot, collectionneurs de rencontres
Florence et Damien Bachelot © Nicolas Despis pour Fisheye.
Un soldat en Irlande, en fond le feu
Northern Ireland, Belfast, August 1969, Vintage Cibachrome print © Gilles Caron / Collection Bachelot

Avec un cabinet de plus de 1 000 œuvres, Florence et Damien Bachelot ont constitué, depuis 2004, l’une des plus grandes collections privées de photographies en France. Le couple s’intéresse autant aux figures humanistes françaises qu’aux street photographers américain·es, et soutient infailliblement la photographie contemporaine et émergente. Leur ensemble d’images reflète un récit personnel de moments vécus et de rencontres significatives.

En entrant dans la salle à manger de Florence et Damien Bachelot, un grand tirage de Véronique Ellena nous accueille – un arbre vu depuis la fenêtre de la Villa Médicis, à Rome. Le cadre est posé à même la cheminée car la maison est en travaux. Non loin, un Paul Cupido a retrouvé sa place au mur. Dans le salon, la peinture flamande du 17e siècle dialogue avec des sculptures contemporaines et quelques chinoiseries anciennes. « Nous ne sommes pas des monomaniaques de la photographie », clarifie Damien Bachelot, rapidement rejoint par son épouse Florence. Dans une pièce fraîchement peinte en vert sapin où trône un piano, le couple revient, en compagnie de ses deux chiens Oréa et Hibra, sur l’aventure qu’il a débutée il y a plus de vingt ans : celle de leur collection de photographies. Les premières acquisitions se font à travers la société de conseil Aforge, fondée par Damien Bachelot et ses deux associés. Guidée par Florence Bachelot et conseillée par Sam Stourdzé (actuel directeur de la Villa Médicis), l’entreprise a constitué, entre une vente Artcurial de 2004 et 2009, un ensemble humaniste de plus de 150 œuvres. « À titre personnel, nous étions attiré·es par d’autres types de photos, par exemple des paysages ou des natures mortes, qui n’étaient pas dans l’écriture de la collection d’Aforge. Ainsi, nous avons acheté quelques images de notre côté », détaille le couple. En 2009, ils rachètent l’ensemble des œuvres rassemblées par la société, puis les intègrent à une collection personnelle qui représente à ce jour 1 000 tirages d’art – de Gilles Caron à Véronique Ellena en passant par Saul Leiter, Josef Koudelka, Ann Ray, Flore, Thibaut Cuisset ou encore Laura Henno.

Willem Dafoe assis
Willem Dafoe, for the project “Les Yeux Fermés / Eyes Shut”, 2013, Silver print © Ann Ray / Collection Bachelot
Portrait d'une femme
Mystères, 2015 © Ann Ray / Collection Bachelot

Une boîte à souvenirs

Tirages d’exceptions, vintages et pièces de musée jalonnent les cartons qui constituent cette bibliothèque d’images. « L’avantage avec la photographie, c’est que c’est facile à stocker, contrairement à la sculpture », s’amuse Damien Bachelot. Mais au-delà des photographies, la collection est avant tout un ensemble de rencontres, d’histoires et de souvenirs. La recette secrète est composée de coups de cœur – toujours consensuels –, d’une contrainte budgétaire – « pour ne pas s’égarer » –, et de précieux échanges avec les galeristes et les artistes. « C’est Howard Greenberg qui nous a fait découvrir la street photography américaine. C’est devenu un ami », souffle Florence Bachelot, avant d’ajouter qu’ils s’attachent à rencontrer tous·tes les photographes – vivant·es – qu’ils achètent. Des récits émanent de chaque image : « Josef Koudelka regardait les tirages que nous possédions de lui. Il a vu l’ensemble et à un moment, il m’a dit : “Il t’en manque une, il te manque le cheval.” Quand un immense artiste comme lui vous dit qu’il vous faut une de ses photos, ça devient un objectif », raconte Damien Bachelot, qui mettra la main sur cette photo en Amérique latine. Échangeant un regard complice, le couple se souvient des rencontres avec Saul Leiter, à New York et chez eux, à Ville-d’Avray : « Toutes nos photographies sont liées à des moments forts qu’on a vécus ensemble. » Ce pied dans le monde de l’art représente également une bulle d’oxygène pour la famille Bachelot. « La collection, c’est un moyen de sortir de nos univers professionnels, poursuit celle qui travaille comme médecin à l’Institut Curie. Un instant de partage en famille avec nos deux garçons, qui ont développé un goût pour ce médium. » L’ensemble vit au gré des expositions et des prêts dans plusieurs institutions, une façon pour le couple de redécouvrir les tirages qu’il possède. « En dehors des œuvres avec lesquelles nous vivons, nous voyons rarement la plupart des images de notre collection. Alors, à chaque exposition, c’est toujours plein d’émotions », confie Florence Bachelot. Villa Médicis, musée Réattu, Biennale de Daegu, le duo s’attache par ailleurs à produire des catalogues « pour laisser une trace ». Les portraits de la collection seront par ailleurs présentés au Museo Nazionale del Risorgimento à Turin, du 10 juillet au 5 octobre 2025 dans le cadre de l’exposition Ritratti.

Des marches d'escaliers et des mains
Tanager Stairs, 1954, Cibachrome print © Saul Leiter / Collection Bachelot
vue de la mer à travers une fenêtre
Lanesville, 1958, Chromogenic print © Saul Leiter / Collection Bachelot
Photo thermique d'un visage
Untitled (Dami, Fulmen), 2023, Print on brushed aluminium © SMITH / Collection Bachelot
156 pages
7,50 €

Soutenir les photographes émergent·es

« Aujourd’hui, nous avons un tropisme sur le contemporain, dans une optique de soutien aux jeunes artistes », lance Florence Bachelot. « La première raison, complète son époux, c’est que la collection est déjà très développée en [termes de] pièces historiques. » Si le couple a commencé ses achats en salle des ventes, il préfère à présent travailler directement avec les galeries ou visiter des foires. Or, acquérir des photographies contemporaines implique une stratégie différente de celle employée pour la photo ancienne, où l’on privilégie la qualité du tirage et sa rareté. Florence et Damien Bachelot fonctionnent toujours au coup de cœur, mais plusieurs critères sont pris en compte : l’émotion que procure l’image, le nombre de tirages, et une écriture visuelle singulière. « Il y a plusieurs problématiques liées à la photographie contemporaine, qui dépassent la scène française, réfléchit Damien Bachelot. [La photo] est une technique accessible à tous·tes, contrairement à la sculpture ou à la peinture. De nos jours, la grande taille d’un tirage, combinée à un message politique, ne garantit pas nécessairement une belle image. Dans de nombreuses expositions, il y a beaucoup de discours, mais les photos elles-mêmes, qu’inventent-elles ? Notre intérêt se porte précisément sur un geste ou une écriture autonome du discours. Si le propos est significatif, alors tant mieux. » Dernièrement, le duo a cherché à acquérir des tirages du photographe français Smith, qu’il considère comme un grand artiste. « Dans son travail, il propose à la fois une approche innovante et de vraies réflexions sur les sujets de société », poursuit Damien Bachelot. Non seulement le couple est sensible à la beauté des images contemporaines, mais il estime également essentiel de soutenir les photographes émergent·es. « Nous voulons [les] aider car nous connaissons très peu d’auteur·ices qui vivent confortablement de leur art, pointe Damien Bachelot. C’est notre job de collectionneur·se d’épauler la jeune photographie française et étrangère. » Les possibilités sont multiples : achat de plusieurs tirages, soutien à la création de livres photo – comme ils l’avaient fait par exemple pour l’ouvrage Le dehors absolu de Thibaut Cuisset (Filigranes Éditions, 2005) –, mais surtout, insister sur la présence de leurs clichés lors des expositions mettant en lumière les œuvres de la collection. « On exige toujours que les jeunes artistes soient présenté·es. Pas uniquement Saul Leiter, Henri Cartier-Bresson ou bien Jacques Henri Lartigue », appuie Damien Bachelot.

Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #71.

À lire aussi
Fisheye #71 : l’horizon de la photographie française
© SMITH
Fisheye #71 : l’horizon de la photographie française
Dans son numéro #71, Fisheye fait la part belle à la photographie française. Au fil des pages se déploient des sujets qui donnent à voir…
15 mai 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Dans l'œil de SMITH : métamorphose des sols
Dami (Fulmen) © SMITH pour la résidence INSTANTS, Château Palmer et Leica, 2024
Dans l’œil de SMITH : métamorphose des sols
Aujourd’hui, plongée dans l’œil de SMITH, qui nous révèle les dessous de deux images issues de sa série Dami (Fulmen), réalisée lors de…
21 avril 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Assemblages : Saul Leiter, peintre-photographe des rues new-yorkaises
© Saul Leiter. Parapluie rouge, vers 1955. Avec l’aimable autorisation de la Saul Leiter Foundation.
Assemblages : Saul Leiter, peintre-photographe des rues new-yorkaises
À l’occasion des Rencontres d’Arles, le Palais de l’Archevêché consacre une rétrospective à Saul Leiter. Entremêlant tirages et…
27 juillet 2023   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Explorez
Performer l'invisible : Hoda Afshar et l'acte de regarder
Speak the Wind, 2015-2020 © Hoda Afshar, Courtesy de l'artiste et de la Galerie Milani, Brisbane, Australie.
Performer l’invisible : Hoda Afshar et l’acte de regarder
Avec Performer l’invisible, Hoda Afshar transforme une partie du musée du quai Branly – Jacques Chirac en espace de réflexion sur le...
30 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les images de la semaine du 22 septembre 2025 : poésie, transmission et écologie
© Léo d'Oriano
Les images de la semaine du 22 septembre 2025 : poésie, transmission et écologie
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les images publiées dans Fisheye donnent à voir des messages d’émancipation, de ruptures avec les...
28 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Valentin Derom : photographier le soin dans toute son ambivalence
© Valentin Derom
Valentin Derom : photographier le soin dans toute son ambivalence
Avec Support Systems, Valentin Derom explore les gestes de soin là où on ne les attend pas : dans les étables, aux côtés de son père...
26 septembre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Contenu sensible
Marvin Bonheur et Sofiya Loriashvili rejoignent la collection SUB de Fisheye Éditions !
Only you and me © Sofiya Loriashvili
Marvin Bonheur et Sofiya Loriashvili rejoignent la collection SUB de Fisheye Éditions !
Forte de son nom faisant à la fois référence à la subculture, la subversion et au mot « suburb » ("banlieue" en anglais), la collection...
24 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Grace Land : Nick Prideaux transcrit son expérience de la perte
© Nick Prideaux
Grace Land : Nick Prideaux transcrit son expérience de la perte
Dans le cadre d’une résidence artistique à la Maison de la Chapelle, au cœur de la Provence, Nick Prideaux a imaginé Grace Land. À...
Il y a 11 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Billie Eilish, hasard et ambivalence : dans la photothèque de Jenny Bewer
La première photographie qui t’a marquée et pourquoi ? © Jenny Bewer
Billie Eilish, hasard et ambivalence : dans la photothèque de Jenny Bewer
Des premiers émois photographiques aux coups de cœur les plus récents, les artistes des pages de Fisheye reviennent sur les œuvres et les...
03 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
InCadaqués 2025 : des images entre le vent et la mer
The Wave, Jamaica, 2013 © Txema Yeste, courtesy of Galería Alta
InCadaqués 2025 : des images entre le vent et la mer
Du 9 au 26 octobre 2026, le village côtier de Cadaqués, en Catalogne, devient le théâtre du monde de l’image. Quarante photographes, en...
03 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Panorama 27 : au Fresnoy, l’image réinventée
Daniel Duque, Pacifico, film, 2025, production Le Fresnoy – Studio national des arts contemporains © Daniel Duque
Panorama 27 : au Fresnoy, l’image réinventée
Au cœur du Fresnoy, l’exposition annuelle Panorama est devenue un rendez-vous incontournable. Pour sa 27e édition, l’événement orchestre...
02 octobre 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas