Avec un cabinet de plus de 1 000 œuvres, Florence et Damien Bachelot ont constitué, depuis 2004, l’une des plus grandes collections privées de photographies en France. Le couple s’intéresse autant aux figures humanistes françaises qu’aux street photographers américain·es, et soutient infailliblement la photographie contemporaine et émergente. Leur ensemble d’images reflète un récit personnel de moments vécus et de rencontres significatives.
En entrant dans la salle à manger de Florence et Damien Bachelot, un grand tirage de Véronique Ellena nous accueille – un arbre vu depuis la fenêtre de la Villa Médicis, à Rome. Le cadre est posé à même la cheminée car la maison est en travaux. Non loin, un Paul Cupido a retrouvé sa place au mur. Dans le salon, la peinture flamande du 17e siècle dialogue avec des sculptures contemporaines et quelques chinoiseries anciennes. « Nous ne sommes pas des monomaniaques de la photographie », clarifie Damien Bachelot, rapidement rejoint par son épouse Florence. Dans une pièce fraîchement peinte en vert sapin où trône un piano, le couple revient, en compagnie de ses deux chiens Oréa et Hibra, sur l’aventure qu’il a débutée il y a plus de vingt ans : celle de leur collection de photographies. Les premières acquisitions se font à travers la société de conseil Aforge, fondée par Damien Bachelot et ses deux associés. Guidée par Florence Bachelot et conseillée par Sam Stourdzé (actuel directeur de la Villa Médicis), l’entreprise a constitué, entre une vente Artcurial de 2004 et 2009, un ensemble humaniste de plus de 150 œuvres. « À titre personnel, nous étions attiré·es par d’autres types de photos, par exemple des paysages ou des natures mortes, qui n’étaient pas dans l’écriture de la collection d’Aforge. Ainsi, nous avons acheté quelques images de notre côté », détaille le couple. En 2009, ils rachètent l’ensemble des œuvres rassemblées par la société, puis les intègrent à une collection personnelle qui représente à ce jour 1 000 tirages d’art – de Gilles Caron à Véronique Ellena en passant par Saul Leiter, Josef Koudelka, Ann Ray, Flore, Thibaut Cuisset ou encore Laura Henno.
Une boîte à souvenirs
Tirages d’exceptions, vintages et pièces de musée jalonnent les cartons qui constituent cette bibliothèque d’images. « L’avantage avec la photographie, c’est que c’est facile à stocker, contrairement à la sculpture », s’amuse Damien Bachelot. Mais au-delà des photographies, la collection est avant tout un ensemble de rencontres, d’histoires et de souvenirs. La recette secrète est composée de coups de cœur – toujours consensuels –, d’une contrainte budgétaire – « pour ne pas s’égarer » –, et de précieux échanges avec les galeristes et les artistes. « C’est Howard Greenberg qui nous a fait découvrir la street photography américaine. C’est devenu un ami », souffle Florence Bachelot, avant d’ajouter qu’ils s’attachent à rencontrer tous·tes les photographes – vivant·es – qu’ils achètent. Des récits émanent de chaque image : « Josef Koudelka regardait les tirages que nous possédions de lui. Il a vu l’ensemble et à un moment, il m’a dit : “Il t’en manque une, il te manque le cheval.” Quand un immense artiste comme lui vous dit qu’il vous faut une de ses photos, ça devient un objectif », raconte Damien Bachelot, qui mettra la main sur cette photo en Amérique latine. Échangeant un regard complice, le couple se souvient des rencontres avec Saul Leiter, à New York et chez eux, à Ville-d’Avray : « Toutes nos photographies sont liées à des moments forts qu’on a vécus ensemble. » Ce pied dans le monde de l’art représente également une bulle d’oxygène pour la famille Bachelot. « La collection, c’est un moyen de sortir de nos univers professionnels, poursuit celle qui travaille comme médecin à l’Institut Curie. Un instant de partage en famille avec nos deux garçons, qui ont développé un goût pour ce médium. » L’ensemble vit au gré des expositions et des prêts dans plusieurs institutions, une façon pour le couple de redécouvrir les tirages qu’il possède. « En dehors des œuvres avec lesquelles nous vivons, nous voyons rarement la plupart des images de notre collection. Alors, à chaque exposition, c’est toujours plein d’émotions », confie Florence Bachelot. Villa Médicis, musée Réattu, Biennale de Daegu, le duo s’attache par ailleurs à produire des catalogues « pour laisser une trace ». Les portraits de la collection seront par ailleurs présentés au Museo Nazionale del Risorgimento à Turin, du 10 juillet au 5 octobre 2025 dans le cadre de l’exposition Ritratti.
7,50 €
Soutenir les photographes émergent·es
« Aujourd’hui, nous avons un tropisme sur le contemporain, dans une optique de soutien aux jeunes artistes », lance Florence Bachelot. « La première raison, complète son époux, c’est que la collection est déjà très développée en [termes de] pièces historiques. » Si le couple a commencé ses achats en salle des ventes, il préfère à présent travailler directement avec les galeries ou visiter des foires. Or, acquérir des photographies contemporaines implique une stratégie différente de celle employée pour la photo ancienne, où l’on privilégie la qualité du tirage et sa rareté. Florence et Damien Bachelot fonctionnent toujours au coup de cœur, mais plusieurs critères sont pris en compte : l’émotion que procure l’image, le nombre de tirages, et une écriture visuelle singulière. « Il y a plusieurs problématiques liées à la photographie contemporaine, qui dépassent la scène française, réfléchit Damien Bachelot. [La photo] est une technique accessible à tous·tes, contrairement à la sculpture ou à la peinture. De nos jours, la grande taille d’un tirage, combinée à un message politique, ne garantit pas nécessairement une belle image. Dans de nombreuses expositions, il y a beaucoup de discours, mais les photos elles-mêmes, qu’inventent-elles ? Notre intérêt se porte précisément sur un geste ou une écriture autonome du discours. Si le propos est significatif, alors tant mieux. » Dernièrement, le duo a cherché à acquérir des tirages du photographe français Smith, qu’il considère comme un grand artiste. « Dans son travail, il propose à la fois une approche innovante et de vraies réflexions sur les sujets de société », poursuit Damien Bachelot. Non seulement le couple est sensible à la beauté des images contemporaines, mais il estime également essentiel de soutenir les photographes émergent·es. « Nous voulons [les] aider car nous connaissons très peu d’auteur·ices qui vivent confortablement de leur art, pointe Damien Bachelot. C’est notre job de collectionneur·se d’épauler la jeune photographie française et étrangère. » Les possibilités sont multiples : achat de plusieurs tirages, soutien à la création de livres photo – comme ils l’avaient fait par exemple pour l’ouvrage Le dehors absolu de Thibaut Cuisset (Filigranes Éditions, 2005) –, mais surtout, insister sur la présence de leurs clichés lors des expositions mettant en lumière les œuvres de la collection. « On exige toujours que les jeunes artistes soient présenté·es. Pas uniquement Saul Leiter, Henri Cartier-Bresson ou bien Jacques Henri Lartigue », appuie Damien Bachelot.
Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #71.