Forever Sixties : une révolution visuelle encore d’actualité

05 juillet 2023   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Forever Sixties : une révolution visuelle encore d’actualité
Richard Hamilton, Release, 1972, Collection Pinault © R. Hamilton, All Rights Reserved, Adagp, 2023
Richard Prince, Untitled (Fashion), 1982-1984, Collection Pinault © Richard Prince

Jusqu’au 10 septembre 2023, le Couvent des Jacobins de Rennes accueille Forever Sixties. L’esprit des années 1960 dans la Collection Pinault. Un ensemble de plus de 80 œuvres cristallise un sursaut survenu dans la création visuelle de cette époque, et dont les répercussions sont toujours perceptibles des décennies plus tard.

Rendez-vous incontournable de l’art contemporain à Rennes, la troisième édition d’Exporama a été lancée le mois dernier. Cette année, le festival est porté par deux expositions, Art is Magic, la première rétrospective française consacrée Jeremy Deller, et Forever Sixties. Si ce dernier évènement s’intéresse à l’ensemble de la création ayant nourri l’histoire de l’art des Swinging Sixties, il n’en fait pas moins la part belle à la photographie. Période faite de contrastes, marquée par un changement de paradigmes, tant sur le plan économique et social que par l’émergence de conflits idéologiques, elle s’est imposée comme un moment de bascule de nos sociétés contemporaines occidentales. C’est dans ce terreau fertile qu’un certain nombre d’artistes est parvenu à puiser son inspiration qui tend vers un renouveau visuel dans une modernité qui s’épuise. Parmi ces mouvements figurent l’incontournable Pop Art, né outre-Manche, mais également le nouveau réalisme français.

Duane Hanson, Housepainter I, 1984-88, Collection Pinault © Adagp, Paris, 2023
Martial Raysse, Bien sûr le petit bateau, 1963, Collection Pinault © Adagp, Paris, 2023
Kiki Kogelnik, Outer Space, 1964, Collection Pinault © Kiki Kogelnik
Richard Hamilton, Release, 1972, Collection Pinault © R. Hamilton, All Rights Reserved, Adagp, 2023

Martial Raysse, Belle des nuages, 1965, Collection Pinault © Adagp, Paris, 2023

Réaffirmer les contours de l’art

Forever Sixties s’ouvre sur quelques œuvres signées Richard Hamilton, qui ont servi de point de départ à la réflexion menée par l’exposition. Pour composer ses collages, l’artiste a récupéré des images d’abord publiées entre les pages de magazines et autres journaux illustrés. On retrouve notamment un cliché de Mick Jagger, chanteur des Rolling Stones, menotté au marchand d’art Robert Fraser. Leurs mains – qui, associées, évoquent les ailes d’un oiseau en plein vol – dissimulent leur visage. Tous deux se trouvent à bord d’une voiture de police : ils viennent d’être arrêtés pour détention d’héroïne. Comme un frontispice, le portrait traduit d’emblée les excès et les paradoxes d’une décennie qui se veut prospère. Dans ce prolongement, sur le mur d’en face sont accrochés trois tirages de Richard Avedon. Une Marilyn Monroe fragile et perdue côtoie un Andy Warhol au corps pourvu de cicatrices. L’icône de beauté et la figure emblématique du Pop Art se révèlent abîmées. Ici encore, le glamour vole en éclat pour laisser entrevoir, sous le vernis brillant, toutes les ambivalences des années 1960.

En France, Martial Raysse se distingue par ses portraits de femmes en technicolor, qui attirent le regard pour mieux relayer les zones d’ombres au second plan. Une mouche devenue araignée ou une fleur mortuaire viennent toutefois parasiter les rêves formulés par la société de consommation. Alain Jacquet déjoue également les codes par le biais de la reproduction sérigraphique de l’image photographique de chefs-d’œuvre classiques. Sa version revisitée du Déjeuner sur l’herbe d’Édouard Manet offre à voir la multitude de ces points, qui caractérisent la technique employée, de manière exagérée. Une telle pratique interroge, en contrepoint, la possible reproductibilité des œuvres, ce qui fait leur essence et leur confère une quelconque valeur. Enfin, dans un autre genre, le duo Gilbert & George soulève la question du double au travers d’une juxtaposition de photographies, recolorées de rouge et de vert, placées à l’intérieur d’une grille. Si les années 1960 témoignent de l’essor de nos sociétés de consommation – dont les limites s’observent depuis déjà quelque temps – et ont participé à la démocratisation de la culture dans toutes ses formes, elles n’en soulignent pas moins la nécessité de réaffirmer constamment les contours de l’art dans une réflexion qui, aujourd’hui encore, n’a pas perdu de son intérêt.

À lire aussi
« Chronorama » : les archives de Condé Nast racontent le monde
« Chronorama » : les archives de Condé Nast racontent le monde
Retraçant près d’un siècle, l’exposition de la Collection Pinault Chronorama, Trésors photographiques du 20e siècle, présente pour la…
23 mars 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
« Tout doit disparaître » : les obsessions d’une société en quête de (sur)consommation
« Tout doit disparaître » : les obsessions d’une société en quête de (sur)consommation
Véritable collaboration entre Jean-Marie Donat, collectionneur et artiste, et la commissaire d’exposition Audrey Hoareau, l’exposition…
19 janvier 2022   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Explorez
Victor Gassmann : « Je crois en la matière »
Affiche Pictorial Service rue de la Comete 1950 © Archives Picto
Victor Gassmann : « Je crois en la matière »
Arrière-petit-fils de Pierre Gassmann, Victor Gassmann veille sur l’héritage de Picto, laboratoire emblématique qui a façonné le tirage...
Il y a 8 heures   •  
Écrit par Fabrice Laroche
Les images de la semaine du 17 novembre 2025 : portraits du passé et du présent
I Saw a Tree Bearing Stones in Place of Apples and Pears © Emilia Martin
Les images de la semaine du 17 novembre 2025 : portraits du passé et du présent
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les photographes de Fisheye dépeignent différentes réalités. Certains puisent leur inspiration...
23 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
5 événements photo à découvrir ce week-end
© Sandra Eleta
5 événements photo à découvrir ce week-end
Ça y est, le week-end est là. Si vous prévoyez une sortie culturelle, mais ne savez pas encore où aller, voici cinq événements...
22 novembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
La Galerie Carole Lambert réenchante l'œuvre de Manuel Álvarez Bravo
Petit cheval de Quito © Archivo Manuel Álvarez Bravo
La Galerie Carole Lambert réenchante l’œuvre de Manuel Álvarez Bravo
Jusqu'au 18 décembre 2025, la Galerie Carole Lambert devient l’écueil des 40 tirages d’exception du photographe mexicain Manuel Álvarez...
21 novembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Mouche Books édite son premier livre photo-poésie Selfportraits
© Lena Kunz
Mouche Books édite son premier livre photo-poésie Selfportraits
La revue Mouche, qui fait dialoguer le 8e art avec la poésie depuis quatre ans, lance sa maison d’édition Mouche Books avec comme premier...
Il y a 3 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Victor Gassmann : « Je crois en la matière »
Affiche Pictorial Service rue de la Comete 1950 © Archives Picto
Victor Gassmann : « Je crois en la matière »
Arrière-petit-fils de Pierre Gassmann, Victor Gassmann veille sur l’héritage de Picto, laboratoire emblématique qui a façonné le tirage...
Il y a 8 heures   •  
Écrit par Fabrice Laroche
Corps, catch et injonctions : la séance de rattrapage Focus
©Théo Saffroy / Courtesy of Point Éphémère
Corps, catch et injonctions : la séance de rattrapage Focus
Les photographes des épisodes de Focus sélectionnés ici révèlent les corps et dénoncent les injonctions que nous leur collons. Ils et...
26 novembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Le 7 à 9 de Chanel : Viviane Sassen, l’ombre comme seconde peau
© Viviane Sassen
Le 7 à 9 de Chanel : Viviane Sassen, l’ombre comme seconde peau
Nouvelle invitée du 7 à 9 de Chanel au Jeu de Paume, Viviane Sassen a déroulé le fil intime et créatif de son œuvre au cours d’une...
25 novembre 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas