Jusqu’au 10 septembre 2023, le Couvent des Jacobins de Rennes accueille Forever Sixties. L’esprit des années 1960 dans la Collection Pinault. Un ensemble de plus de 80 œuvres cristallise un sursaut survenu dans la création visuelle de cette époque, et dont les répercussions sont toujours perceptibles des décennies plus tard.
Rendez-vous incontournable de l’art contemporain à Rennes, la troisième édition d’Exporama a été lancée le mois dernier. Cette année, le festival est porté par deux expositions, Art is Magic, la première rétrospective française consacrée Jeremy Deller, et Forever Sixties. Si ce dernier évènement s’intéresse à l’ensemble de la création ayant nourri l’histoire de l’art des Swinging Sixties, il n’en fait pas moins la part belle à la photographie. Période faite de contrastes, marquée par un changement de paradigmes, tant sur le plan économique et social que par l’émergence de conflits idéologiques, elle s’est imposée comme un moment de bascule de nos sociétés contemporaines occidentales. C’est dans ce terreau fertile qu’un certain nombre d’artistes est parvenu à puiser son inspiration qui tend vers un renouveau visuel dans une modernité qui s’épuise. Parmi ces mouvements figurent l’incontournable Pop Art, né outre-Manche, mais également le nouveau réalisme français.
Réaffirmer les contours de l’art
Forever Sixties s’ouvre sur quelques œuvres signées Richard Hamilton, qui ont servi de point de départ à la réflexion menée par l’exposition. Pour composer ses collages, l’artiste a récupéré des images d’abord publiées entre les pages de magazines et autres journaux illustrés. On retrouve notamment un cliché de Mick Jagger, chanteur des Rolling Stones, menotté au marchand d’art Robert Fraser. Leurs mains – qui, associées, évoquent les ailes d’un oiseau en plein vol – dissimulent leur visage. Tous deux se trouvent à bord d’une voiture de police : ils viennent d’être arrêtés pour détention d’héroïne. Comme un frontispice, le portrait traduit d’emblée les excès et les paradoxes d’une décennie qui se veut prospère. Dans ce prolongement, sur le mur d’en face sont accrochés trois tirages de Richard Avedon. Une Marilyn Monroe fragile et perdue côtoie un Andy Warhol au corps pourvu de cicatrices. L’icône de beauté et la figure emblématique du Pop Art se révèlent abîmées. Ici encore, le glamour vole en éclat pour laisser entrevoir, sous le vernis brillant, toutes les ambivalences des années 1960.
En France, Martial Raysse se distingue par ses portraits de femmes en technicolor, qui attirent le regard pour mieux relayer les zones d’ombres au second plan. Une mouche devenue araignée ou une fleur mortuaire viennent toutefois parasiter les rêves formulés par la société de consommation. Alain Jacquet déjoue également les codes par le biais de la reproduction sérigraphique de l’image photographique de chefs-d’œuvre classiques. Sa version revisitée du Déjeuner sur l’herbe d’Édouard Manet offre à voir la multitude de ces points, qui caractérisent la technique employée, de manière exagérée. Une telle pratique interroge, en contrepoint, la possible reproductibilité des œuvres, ce qui fait leur essence et leur confère une quelconque valeur. Enfin, dans un autre genre, le duo Gilbert & George soulève la question du double au travers d’une juxtaposition de photographies, recolorées de rouge et de vert, placées à l’intérieur d’une grille. Si les années 1960 témoignent de l’essor de nos sociétés de consommation – dont les limites s’observent depuis déjà quelque temps – et ont participé à la démocratisation de la culture dans toutes ses formes, elles n’en soulignent pas moins la nécessité de réaffirmer constamment les contours de l’art dans une réflexion qui, aujourd’hui encore, n’a pas perdu de son intérêt.