Dans des compositions aux nuances de l’urgence, oscillant du rose pâle au sépia, Juliette-Andréa Élie cristallise une végétation et ses habitants, désormais atrophiés par les affres des dérèglements climatiques. « J’ai suivi à distance les mégafeux australiens de 2019-2020, et j’ai été profondément émue de réaliser que les lieux et les animaux que j’avais photographiés pour un magazine, en 2016, avaient été extrêmement touchés, se souvient-elle. Pendant mon séjour, j’avais été émerveillée par la région du bush, dans le Victoria, incroyablement riche en faune et flore, et par la relation toute particulière que les aborigènes entretiennent avec cet écosystème. » Dans Fire)(scapes, la photographe et plasticienne revient sur ces événements tragiques, de plus en plus fréquents, qui se caractérisent par leur intensité, leur durée et leur dimension incontrôlable. Si la graphie du titre dessine la silhouette d’un arbre, elle laisse paraître en son ombre le mot « escape », ou « échappatoire » en français. Celle-ci s’impose comme une parenthèse ou un moment en suspens qui interroge les manières de « s’échapper de cette mécanique de feux dévastateurs », en s’inspirant notamment des traditions du passé et des réflexions qu’elles peuvent susciter.
Au fil des clichés, le drame, encore latent, se devine par les divers graphiques et données que l’artiste appose sur ses images. « J’ai toujours été attirée par la créativité visuelle des recherches scientifiques, et j’aime que dialoguent deux visions : l’une météorologique, l’autre artistique », explique Juliette-Andréa Élie. À cet effet, la photographe est entrée en contact avec plusieurs spécialistes, dont Mélanie Rochou, chercheuse sur les risques environnementaux au Centre européen de recherche et de formation avancée en calcul scientifique (Cerfacs). Au cours de leurs échanges, celle-ci lui parle des outils propices à une meilleure appréhension de ces phénomènes, à leur compréhension et leur anticipation. « Elle m’a également envoyé des visuels de leurs travaux dont je me suis inspirée pour coloniser graphiquement mes tirages. Parfois encore, j’ai cherché des croquis techniques de la représentation de la pluie ou de l’arc-en-ciel que j’ai superposés aux images orangées. J’avais l’impression de fabriquer des objets aux pensées magiques, des vœux météorologiques… », poursuit-elle. Loin d’être anodines, les incantations qu’elle évoque vont de pair avec l’espoir qui se distille par fragments poétiques au gré de ses compositions. « J’essaie malgré le présent et l’avenir franchement alarmant de songer à la force incroyable de résilience dont peuvent faire preuve les arbres, par exemple, après un feu. Si nous changeons rapidement et radicalement notre manière de nous comporter – à commencer par les industriels – peut-être qu’un futur moins sombre est possible », insiste-t-elle.
Animée par un besoin de renouer des liens entre l’humain et les autres vivants, « à l’ère anthropocène où notre activité génère tant de dérèglements », Juliette-Andréa Élie souhaite surtout éveiller les consciences quant à l’importance des mémoires, qu’elles soient individuelles ou collectives. « Cette série s’intéresse aussi à la culture des aborigènes d’Australie, et plus spécifiquement à leur rapport intime et sociologique aux arbres, aux animaux et à leur environnement. J’ai voulu imprégner mes objets photographiques de ce que je comprenais de leur manière de faire monde autrement. Aujourd’hui, même les pompiers américains leur demandent conseil. Je suis extrêmement admirative du combat que mène ce peuple pour que non seulement leur culture, leur savoir-faire et leur mémoire ne disparaissent pas, mais qu’ils soient de plus en plus reconnus et valorisés », conclut l’artiste. Sa prochaine série, Mysterious Mist prolongera cette démarche en gravitant cette fois-ci autour d’une découverte en lien avec cette Tamise vaporeuse que se plaisaient à représenter les peintres Turner, Whistler et Monet au cours du XIXe siècle. Des météorologues ont récemment démontré que ce qui fut longtemps perçu comme de sublimes brouillards était en réalité le fruit d’une pollution de l’air au charbon. Porté par la même poésie, le projet – tout juste décoré du prix Une Autre Empreinte – Prix Photo Dahinden 2023 – dévoilera des paysages dont la dégradation, pourtant visible à l’œil nu, demeure insoupçonnée.
Juliette-Andréa Élie a été publiée dans les pages de Fisheye #15, en 2015, pour Fading Landscapes. « C’était mon premier portfolio dans la presse. J’étais très heureuse de cette reconnaissance et des mots posés par Éric Karsenty sur mon travail », se souvient-elle. Depuis, l’artiste a été lauréate du Mentorat des Filles de la photo et a collaboré avec plusieurs galeries et commissaires d’exposition qui ont présenté ses œuvres dans le monde entier. À l’automne, elle prendra part à l’événement que la BnF – qui vient d’acquérir l’une de ses images – consacre à la photographie et la matière.