Juliette-Andréa Élie : Feux de détresse

27 juillet 2023   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Juliette-Andréa Élie : Feux de détresse
© Juliette-Andréa Élie
© Juliette-Andréa Élie

Dans des compositions aux nuances de l’urgence, oscillant du rose pâle au sépia, Juliette-Andréa Élie cristallise une végétation et ses habitants, désormais atrophiés par les affres des dérèglements climatiques. « J’ai suivi à distance les mégafeux australiens de 2019-2020, et j’ai été profondément émue de réaliser que les lieux et les animaux que j’avais photographiés pour un magazine, en 2016, avaient été extrêmement touchés, se souvient-elle. Pendant mon séjour, j’avais été émerveillée par la région du bush, dans le Victoria, incroyablement riche en faune et flore, et par la relation toute particulière que les aborigènes entretiennent avec cet écosystème. » Dans Fire)(scapes, la photographe et plasticienne revient sur ces événements tragiques, de plus en plus fréquents, qui se caractérisent par leur intensité, leur durée et leur dimension incontrôlable. Si la graphie du titre dessine la silhouette d’un arbre, elle laisse paraître en son ombre le mot « escape », ou « échappatoire » en français. Celle-ci s’impose comme une parenthèse ou un moment en suspens qui interroge les manières de « s’échapper de cette mécanique de feux dévastateurs », en s’inspirant notamment des traditions du passé et des réflexions qu’elles peuvent susciter.

© Juliette-Andréa Élie
© Juliette-Andréa Élie
© Juliette-Andréa Élie

Au fil des clichés, le drame, encore latent, se devine par les divers graphiques et données que l’artiste appose sur ses images. « J’ai toujours été attirée par la créativité visuelle des recherches scientifiques, et j’aime que dialoguent deux visions : l’une météorologique, l’autre artistique », explique Juliette-Andréa Élie. À cet effet, la photographe est entrée en contact avec plusieurs spécialistes, dont Mélanie Rochou, chercheuse sur les risques environnementaux au Centre européen de recherche et de formation avancée en calcul scientifique (Cerfacs). Au cours de leurs échanges, celle-ci lui parle des outils propices à une meilleure appréhension de ces phénomènes, à leur compréhension et leur anticipation. « Elle m’a également envoyé des visuels de leurs travaux dont je me suis inspirée pour coloniser graphiquement mes tirages. Parfois encore, j’ai cherché des croquis techniques de la représentation de la pluie ou de l’arc-en-ciel que j’ai superposés aux images orangées. J’avais l’impression de fabriquer des objets aux pensées magiques, des vœux météorologiques… », poursuit-elle. Loin d’être anodines, les incantations qu’elle évoque vont de pair avec l’espoir qui se distille par fragments poétiques au gré de ses compositions. « J’essaie malgré le présent et l’avenir franchement alarmant de songer à la force incroyable de résilience dont peuvent faire preuve les arbres, par exemple, après un feu. Si nous changeons rapidement et radicalement notre manière de nous comporter – à commencer par les industriels – peut-être qu’un futur moins sombre est possible », insiste-t-elle.

© Juliette-Andréa Élie
© Juliette-Andréa Élie

Animée par un besoin de renouer des liens entre l’humain et les autres vivants, « à l’ère anthropocène où notre activité génère tant de dérèglements », Juliette-Andréa Élie souhaite surtout éveiller les consciences quant à l’importance des mémoires, qu’elles soient individuelles ou collectives. « Cette série s’intéresse aussi à la culture des aborigènes d’Australie, et plus spécifiquement à leur rapport intime et sociologique aux arbres, aux animaux et à leur environnement. J’ai voulu imprégner mes objets photographiques de ce que je comprenais de leur manière de faire monde autrement. Aujourd’hui, même les pompiers américains leur demandent conseil. Je suis extrêmement admirative du combat que mène ce peuple pour que non seulement leur culture, leur savoir-faire et leur mémoire ne disparaissent pas, mais qu’ils soient de plus en plus reconnus et valorisés », conclut l’artiste. Sa prochaine série, Mysterious Mist prolongera cette démarche en gravitant cette fois-ci autour d’une découverte en lien avec cette Tamise vaporeuse que se plaisaient à représenter les peintres Turner, Whistler et Monet au cours du XIXe siècle. Des météorologues ont récemment démontré que ce qui fut longtemps perçu comme de sublimes brouillards était en réalité le fruit d’une pollution de l’air au charbon. Porté par la même poésie, le projet – tout juste décoré du prix Une Autre Empreinte – Prix Photo Dahinden 2023 – dévoilera des paysages dont la dégradation, pourtant visible à l’œil nu, demeure insoupçonnée.

Juliette-Andréa Élie a été publiée dans les pages de Fisheye #15, en 2015, pour Fading Landscapes« C’était mon premier portfolio dans la presse. J’étais très heureuse de cette reconnaissance et des mots posés par Éric Karsenty sur mon travail », se souvient-elle. Depuis, l’artiste a été lauréate du Mentorat des Filles de la photo et a collaboré avec plusieurs galeries et commissaires d’exposition qui ont présenté ses œuvres dans le monde entier. À l’automne, elle prendra part à l’événement que la BnF – qui vient d’acquérir l’une de ses images – consacre à la photographie et la matière.

À retrouver dans :
Fisheye Magazine #60 10 ans
Fisheye Magazine #60 10 ans
« Nous y voilà. 10 ans. 60 numéros. 9 000 pages – sans compter les hors-séries et les livres. Plus…
Juillet 2023
© Juliette-Andréa Élie
À lire aussi
Julie Arnoux : panser l'environnement et l’être en haïkus
Julie Arnoux : panser l’environnement et l’être en haïkus
La forêt brûle, le brouillard enfumé prolifère, l’écosystème peu à peu disparaît. Un scénario catastrophe qui a pris le dessus sur notre…
03 janvier 2023   •  
Écrit par Ana Corderot
Juliette-Andrea Elie : « Fading Landscapes »
Juliette-Andrea Elie : « Fading Landscapes »
Nous avions découvert Juliette-Andrea Elie alors qu’elle remportait le prix Fotoprize 2015, grâce à sa série Fading Landscapes. La…
09 décembre 2019   •  
Écrit par Eric Karsenty
Explorez
Pooya Abbasian remporte la 3e édition du prix Art & Environnement
Oxalis (détail), 2024 © Pooya Abassian
Pooya Abbasian remporte la 3e édition du prix Art & Environnement
Lee Ufan Arles et la Maison Guerlain ont annoncé hier, à la Guerlain Academy, le nom du troisième lauréat de leur prix Art &...
08 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
La sélection Instagram #527 : l'être-nature
© Tetsuo Kashiwada / Instagram
La sélection Instagram #527 : l’être-nature
Trop souvent l’être humain s’est pensé extérieur au monde naturel. Capitalisme et mondialisation en sont en partie responsables. Si la...
07 octobre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
InCadaqués 2025 : des images entre le vent et la mer
The Wave, Jamaica, 2013 © Txema Yeste, courtesy of Galería Alta
InCadaqués 2025 : des images entre le vent et la mer
Du 9 au 26 octobre 2026, le village côtier de Cadaqués, en Catalogne, devient le théâtre du monde de l’image. Quarante photographes, en...
03 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Photoclimat 2025 : la photographie au service de l’environnement
© Juliette-Andréa Élie / Fondation Avril
Photoclimat 2025 : la photographie au service de l’environnement
Jusqu’au 12 octobre 2025, la 3e édition de la biennale Photoclimat prend ses quartiers à Paris. De la place de la Concorde à celle de...
27 septembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Du cauchemar aux monstres : des séries photo pour Halloween
© Diego Moreno, ABISMOS, from the series Malign Influences, 2020
Du cauchemar aux monstres : des séries photo pour Halloween
Des peurs les plus enfouies aux allégories d'une minorité opprimée, des croyances étranges aux expérimentations en chambre noire pour...
31 octobre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Du pictorialisme au modernisme, la MEP célèbre l’œuvre d’Edward Weston
Edward Weston, Shells, 1927 © Center for Creative Photography, Arizona Board of Regents / Edward Weston, Adagp, Paris, 2025. Courtesy Wilson Centre for Photography
Du pictorialisme au modernisme, la MEP célèbre l’œuvre d’Edward Weston
Jusqu’au 21 janvier 2026, la Maison européenne de la photographie consacre une exposition exceptionnelle à Edward Weston. Intitulée...
30 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Hamza Ashraf : Démo d’amour
We're Just Trying to Learn How to Love © Hamza Ashraf
Hamza Ashraf : Démo d’amour
Hamza Ashraf navigue dans le fleuve des sentiments amoureux et compose We’re Just Trying to Learn How to Love, un zine, autoédité, qui...
30 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Peinture, coulée d'or et sculpture : la séance de rattrapage Focus
Zoé Bleu Arquette. Une nuit étoilée, 2025 © Rose Mihman
Peinture, coulée d’or et sculpture : la séance de rattrapage Focus
Les photographes des épisodes de Focus sélectionnés ici proposent de découvrir la photographie à travers différentes techniques...
29 octobre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine