Du 3 au 8 juin, le Bal se transforme en un espace d’échange et de transmission à l’occasion de la 3e édition de La Fabrique du Regard – Le Festival. Exposition, projections et ateliers animent cette semaine durant laquelle sont présentées au public les œuvres réalisées dans le cadre du programme pédagogique du Bal. Résultats de collaborations entre jeunes élèves et artistes émergent·es, ces travaux se réunissent cette année autour du thème « L’image, pouvoir d’action ».
Mardi 3 juin au matin, un joyeux tumulte accueille les visiteur·ses à leur arrivée au Bal, lieu d’exposition dédié à l’image-document. Pour cause, la journée d’inauguration de La Fabrique du Regard – Le Festival #3. Un grand groupe d’adolescent·es se tient devant l’entrée, impatient de découvrir la restitution de leurs œuvres mais aussi celles des autres classes ayant travaillé avec le pôle pédagogique du Bal. Programme d’éducation, La Fabrique du Regard consiste en une coopération entre artistes, professionnel·es de l’audiovisuel et enseignant·es dans le but de former des jeunes de six à vingt ans à l’analyse, la contextualisation et la construction des images. Sont ainsi proposés aux établissements scolaires et aux différentes structures sociales des ateliers de création et d’ouverture culturelle, dont les productions finales sont dévoilées lors du festival. Axé cette année sur la thématique « L’image, pouvoir d’action », il révèle au public des films, des photographies, et des archives interrogeant notre monde contemporain et ses enjeux. L’intelligence artificielle, la cause environnementale, mais aussi la représentation de soi et le rapport à l’espace urbain y sont notamment explorés.
Quand l’image véhicule pouvoir et dangers
Le public est accueilli par une salle plongée dans le noir. La foule d’élèves qui se tenait dehors est désormais confortablement installée sur des bancs et coussins en face d’un grand écran. Les films réalisés avec les adolescent·es participant aux programmes « Culture(s) de demain » et « Regards croisés » (deux programmes d’éducation du Bal, ndlr) y sont projetés. Dans l’obscurité, une voix forte et engageante s’élève : « J’aimerais, pour ce qui suit, que vous fassiez particulièrement attention aux gestes et aux postures », conseille un des conférenciers à la jeune assemblée. Apparaissent alors les premiers plans de Regalia, court-métrage conçu par la vidéaste Valentine Franc avec l’école et centre de loisir Tanger 17. On y observe des enfants créer des portraits officiels avec les moyens d’un studio photo. S’amusant avec les effets de lumière et les accessoires mis à leur disposition, iels explorent les codes visuels qu’emploient les figures de pouvoir. Tour à tour, iels prennent la pose devant l’objectif, vêtu·e d’un costume d’empereur, d’une tenue de joueur·se de foot ou d’un habit de comtesse. Il y a l’image qu’on produit et celle par laquelle on se construit, apprennent les talentueux novices.
Au sous-sol, la puissance du médium continue d’être sondée, sous le prisme, entre autres, de ses failles et dangers. Des œuvres vidéos interrogent les avantages et problèmes causés par l’IA, ses biais algorithmiques et les erreurs qu’elle peut engendrer. En atteste le travail de Manon Pretto auprès des étudiant·es du lycée parisien François Rabelais qui ont ensemble élaboré une animation humoristique où les caméras de surveillance prennent des paresseux pour des menaces. Ou encore le documentaire de Virgile Fraisse capturant les débats d’élèves d’un établissement de Conflans-Sainte-Honorine sur l’usage de ces technologies. Les limites s’estompent entre la capacité de l’image à nous conférer du pouvoir et à nous en priver.
S’approprier l’espace par le geste photographique
Dans cette seconde partie de l’exposition, l’exploration du 18e arrondissement de Paris est mise à l’honneur. Parcouru aussi bien physiquement qu’au travers d’archives, il fait l’objet de nombreux travaux présentés au Bal. Professionnel·les de l’image, équipes pédagogiques et jeunes se penchent ainsi sur les spécificités de cet espace urbain. En particulier la professeure de sciences économiques et sociales du lycée George-Sand de Domont, qui souhaite initier les élèves de première à la sociologie des territoires et à leurs disparités. Accompagnées de l’artiste pluridisciplinaire Matthieu Samadet, quatre classes de ces étudiant·es de la Grande Couronne effectuent tour à tour une balade dans le nord de la capitale, entre la Goutte d’Or et Montmartre. Tous·tes équipé·es d’un appareil photo, iels ont pour consigne de retenir chacun·e quarante images de leur excursion. Il leur faut ensuite réunir l’ensemble des clichés, procéder à une sélection et l’éditer. L’accrochage final fait apparaître une séquence où prennent place humour et narration. Allant à l’encontre de la démarche typologique recommandée par leur enseignante, les adolescent·es ont en effet choisi de mélanger les lieux et d’omettre les légendes, donnant libre cours à l’imagination.
Pour Matthieu Samadet, il s’agit avec cet exercice de penser et d’expérimenter l’approche photographique par le corps. Si ces jeunes ont pu ne pas se sentir appartenir à ce quartier parisien ni en posséder les codes, prendre des images leur permettrait de s’approprier l’espace et de l’intégrer. « Je leur ai dit que normalement, un photographe a toujours le jean troué à force de se mettre dans des positions inconfortables pour les prises de vue », raconte l’artiste en riant. Les élèves n’ont d’ailleurs pas manqué de surprendre ce dernier par leur progressive désinhibition dans leurs interactions avec les passant·es, inspirant Matthieu Samadet dans son propre procédé, comme il le confesse. Car, ce qu’on constate au festival de la Fabrique du Regard, c’est bien que la transmission se fait dans les deux sens.