« La photographie est une clé qui permet de se faufiler n’importe où »

09 mai 2018   •  
Écrit par Lou Tsatsas
« La photographie est une clé qui permet de se faufiler n’importe où »

Andrew Waits, photographe américain, s’intéresse aux questions sociales et environnementales. Dans sa série Aporia, il traite de l’urbanisation rapide des villes et nous emporte dans un univers onirique et futuriste. Entretien avec l’artiste.

Fisheye : Tu nous racontes ta première expérience avec la photographie ?

Andrew Waits : Je n’ai jamais pris de photographies dans mon enfance, ce n’était pas quelque chose que nous avions l’habitude de faire, autour de moi. À 22 ans, alors que je venais d’obtenir ma licence, on m’a offert un cadeau : mon premier boîtier. Il m’a ouvert les portes d’un monde que je n’avais jamais visité avant. C’était une sorte de clé, qui me permettait d’entrer dans toutes les pièces et de me faufiler n’importe où.

Tu aimes ce contact direct avec le monde ?

Oui, vraiment. Jusqu’à ce moment là, j’écrivais beaucoup de dissertations, j’étais un théoricien. Je me souviens avoir assisté à une conférence à Stanford, peu après, où je voyais très clairement un clivage entre les académiques et ceux qui allaient sur le terrain, et mettaient la théorie en pratique. Ce contraste m’a fait réaliser que je voulais passer ma vie à vivre de nouvelles expériences. Finalement, la photographie s’est présentée à moi au bon moment.

Qu’est-ce qui influence ta photographie ?

Je dirais qu’elle a évolué au fil des années, en parallèle de mes études, de mon expérience et de mes centres d’intérêt. J’ai commencé la photo en réalisant des projets strictement documentaires. Je voulais raconter des histoires et me faire comprendre, et je faisais finalement plus attention aux textes qu’aux photographies. Ces dernières années, mon travail est devenu moins traditionnel, mais il est toujours orienté par mes recherches : la littérature – de fiction ou non – le cinéma et l’histoire.

© Andrew Waits

De quoi parle Aporia ?

C’est une étude sur les conséquences psychologiques du changement de l’environnement urbain. Cette rapidité à laquelle les lieux se modifient marque les esprits. La série construit un univers onirique qui emporte le public à travers les différentes étapes de ce « progrès ».

C’est donc une série autour de l’urbanisation ?

Oui. La ville dans laquelle j’ai grandi a été transformée par l’urbanisation et la gentrification. C’est donc un sujet qui me tient à cœur, et que j’ai pu observer de mes propres yeux. Cependant, je ne souhaitais pas documenter cette métamorphose de manière directe. Influencé par la lecture de l’œuvre de Guy Debord – un écrivain, théoricien et révolutionnaire français, opposé à la société de classes – j’ai choisi de représenter, dans Aporia, l’illustration d’un conflit interne, provoqué par la destruction et la reconstruction du milieu urbain.

La série est entièrement en noir et blanc, peux-tu nous expliquer ce choix ?

C’est une décision étrange, car il y a trois ans, je pensais que je ne travaillerais jamais en noir et blanc. Depuis, j’apprécie de plus en plus cette esthétique. Les débuts d’Aporia étaient réalisés en partie en couleur, mais plus la série se développait, plus le noir et blanc s’imposait. Il sublime les différents types d’architecture, et accentue les contrastes entre l’organique et l’inorganique. Et puis, l’absence de couleur accentue l’aspect fictif et sombre de mon travail

Une fiction qui évoque la science-fiction. Pourquoi ?

On peut en effet noter plusieurs références dans Aporia, notamment à Big Brother, ou encore à la tyrannie de la technologie. Ce sont des classiques de la science-fiction. Mais de nos jours, ces éléments dystopiens sont utilisés dans des discours, pour expliquer les problèmes de notre société et blâmer un petit groupe de personnes. Mon objectif était donc d’utiliser ces éléments pour exprimer mon opinion : les inégalités sociales ne sont pas la cause d’un seul groupe d’individus. Nos problèmes sont complexes. En utilisant des références aussi évidentes, je me moque de cette rhétorique réductrice.

© Andrew Waits

© Andrew Waits© Andrew Waits

© Andrew Waits© Andrew Waits
© Andrew Waits© Andrew Waits
© Andrew Waits© Andrew Waits

© Andrew Waits© Andrew Waits© Andrew Waits

© Andrew Waits

Explorez
Sarah Moon, expérimentations et ville engloutie : dans la photothèque de Sophie Alyz
Un ou une artiste que tu admires par-dessus tout ? © Sophie Alyz
Sarah Moon, expérimentations et ville engloutie : dans la photothèque de Sophie Alyz
Des premiers émois photographiques aux coups de cœur les plus récents, les artistes des pages de Fisheye reviennent sur les œuvres et les...
13 août 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Dans l'œil de Jonathan Chandi : un clip dans un monde parallèle
© Jonathan Chandi
Dans l’œil de Jonathan Chandi : un clip dans un monde parallèle
Aujourd’hui, plongée dans l’œil de Jonathan Chandi, photographe autodidacte belge. L’artiste réinterprète avec une grande délicatesse et...
11 août 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les images de la semaine du 4 août 2025 : revoir le monde
Metropolis III, 1987 © Beatrice Helg
Les images de la semaine du 4 août 2025 : revoir le monde
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les photographes de Fisheye nous invitent à porter un autre regard sur le monde selon des...
10 août 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Béatrice Helg : la musique du silence
Éclats IV, 2013 © Beatrice Helg
Béatrice Helg : la musique du silence
Au musée Réattu d’Arles, dans la fraîcheur d’une ancienne commanderie de chevaliers, le silence devient matière. Jusqu’au 5 octobre 2025...
05 août 2025   •  
Écrit par Benoît Baume
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Fabiola Ferrero : des abeilles et des hommes
I Can’t Hear the Birds © Fabiola Ferrero
Fabiola Ferrero : des abeilles et des hommes
La photographe et journaliste Fabiola Ferrero retourne au Venezuela et ravive la mémoire collective de son pays qui entre 2014 et 2020 a...
Il y a 3 heures   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Sarah Moon, expérimentations et ville engloutie : dans la photothèque de Sophie Alyz
Un ou une artiste que tu admires par-dessus tout ? © Sophie Alyz
Sarah Moon, expérimentations et ville engloutie : dans la photothèque de Sophie Alyz
Des premiers émois photographiques aux coups de cœur les plus récents, les artistes des pages de Fisheye reviennent sur les œuvres et les...
13 août 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Du silence aux images : le mentorat des Filles de la photo
© Claire Delfino
Du silence aux images : le mentorat des Filles de la photo
Quand la photographie devient le lieu d’un tissage mémoriel, politique et sensible, le mentorat des Filles de la Photo affirme toute sa...
12 août 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
La sélection Instagram #519 : évasion infinie
© Giorgia Pastorelli / Instagram
La sélection Instagram #519 : évasion infinie
Liberté. Ce mot résonne avec le clairon de l’été. Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine célèbrent la douceur et le...
12 août 2025   •  
Écrit par Marie Baranger