Cette semaine, Giovanni de Mojana et Rehab Eldalil, nos coups de cœur #448, s’intéressent à la ferveur des communautés. L’un y capture ses moments de liesses, quand l’autre se penche davantage sur le rapport à l’appartenance.
Giovanni de Mojana
« Lorsque je capture, j’ai le désir constant de disparaître de la scène, d’être invisible », explique Giovanni de Mojana. Né en 1995, l’auteur italien se passionne pour le 8e art alors qu’il est étudiant en cinéma à Berlin. Bien que les films aient toujours occupé une place importante dans sa vie, il rejoint en 2021 une agence de publicité en tant que photographe. « Quand j’ai quitté ce travail, un ami et moi avons décidé de partir pour un voyage de deux semaines au Maroc. Il a coïncidé par hasard, ou intentionnellement, avec la Coupe du monde 2022. Nos journées ont été profondément marquées par les exploits de l’équipe marocaine », se remémore l’artiste. De cette escapade nait la série Sir sir sir qui signifie « go go go » et rappelle les sons scandés par la foule marocaine les jours de matchs. « Tout notre voyage a été lié à ce sentiment d’espoir, de joie et de peur qui traversait le pays. Il était palpable et transcendait les frontières sociales, économiques et politiques. Il résonnait chez les jeunes et les moins jeunes, que ce soit dans des rues animées ou dans les dunes du désert balayées par le vent », précise-t-il. Entre clichés documentaires et visuels cinématographiques, ses images se teintent d’une colorimétrie chaude ou laissent place à un jeu d’ombre captivant, comme cette image d’un enfant dans le train, son regard posé vers l’extérieur. « J’aime à penser que nous sommes tous ce jeune garçon – coincé quelque part dans la vie, mais constamment à la recherche de quelque chose de nouveau à venir. J’aime aussi l’expression de sa mère, à peine visible, mais toujours présente, nous protégeant discrètement » confie Giovanni de Mojana. Un véritable conte visuel oscillant entre suggestion subtile et contemplation enivrante.
Rehab Eldalil
« Je cherche à remettre en question les cadres documentaires traditionnels en développant des méthodes qui permettent d’impliquer les sujets dans le processus créatif. J’essaie de faire s’embrasser les médiums afin de dépasser les limites de la photographie. Je développe ainsi des narrations visuelles superposées qui remettent en question l’exotisme des communautés, y compris la mienne en tant que femme africaine et arabe », nous confie la photographe documentaire et éducatrice Rehab Eldalil. C’est à la suite de la révolution égyptienne du 25 janvier 2011 qu’elle réalise la nécessité de capturer les instants décisifs, de documenter l’histoire de l’intérieur. Ainsi nait sa vocation et défilent ensuite les inspirations : Susan Meiselas pour son engagement humain et artistique, Taryn Simon pour son approche d’investigation ou encore Tanya Habjouqa pour ses portraits collaboratifs. Dans son projet au long cours, assemblé dans un bel ouvrage, The Longing Of The Stranger Whose Path Has Been Broken, la photographe s’est immiscée dans la communauté bédouine du sud du Sinaï, en Égypte, afin d’y explorer la notion d’appartenance, et leur relation avec la terre qu’iels occupent. Mélangeant les approches, faisant intervenir les bédouines à la broderie sur certaines de ses images, elle tisse avec elles le fil de l’interconnexion et de l’héritage, et ainsi délie ses propres interrogations « Ce sont les femmes bédouines du Sinaï qui m’ont fait découvrir la broderie au cours de ce projet. Je suis une Bédouine de la diaspora qui n’a pas été élevée dans son pays natal. Lorsque j’ai commencé à travailler sur cette série, je cherchais désespérément à me rapprocher de mes ancêtres dans l’espoir d’en apprendre davantage sur mon identité complexe À ce stade, la broderie m’a donné l’occasion de m’engager auprès de la communauté et est devenue un moyen de renouer avec mes racines .Le résultat de cette série est pareil à une danse, une conversation visuelle sur le processus humain continu de recherche d’un foyer et une célébration de l’expérience indigène », conclut-elle.