Pour réaliser Mythologie, Rodolphe de Brabandere a sillonné la Belgique afin d’en capturer les nombreuses traditions. Anachronique et étonnante, la série nous immerge dans un monde théâtral aux rituels fascinants.
Dans la nuit sombre, les flammes lèchent un mannequin de paille. Au milieu de champs, un mystérieux cortège avance. Là, face au mur, un homme à la tête découverte d’un curieux masque vêtu d’une veste en fourrure semble attendre de recevoir nos questions. Et puis il y a des cors, aux pavillons comme des trous noirs béants, convoquant une sensation étrange, comme un virage vers l’imaginaire. C’est en Belgique que Rodolphe de Brabandere, photographe et réalisateur bruxellois, a développé Mythologie. Une traversée insolite de son pays d’origine, rythmée par le folklore, la religion et les traditions. « J’ai voulu m’immerger sans trop me renseigner pour laisser place à la surprise. L’objectif ? Éviter les idées préconçues et les stéréotypes. J’essaie de ne pas agir comme un journaliste qui doit saisir les moments indispensables, mais de travailler plutôt comme un photographe de rue », explique-t-il.
C’est donc avec une approche documentaire que l’auteur fige les rituels qu’il découvre au détour de son périple. À l’esprit, il garde les images de Josef Koudelka, Henri Cartier-Bresson et Matt Black, dont les monochromes maîtrisés l’inspirent, comme sa formation en cinéma, l’aidant à souligner l’aura dramatique des scènes qu’il capture. Dans les villes et les villages, il s’immisce dans les fêtes, marche le long des processions, assiste aux feux de joie et goûte les banquets. Ainsi, il en saisit l’essence, loin de toute attente réductrice. « Certains de ces événements existent depuis des centaines d’années, ils sont primordiaux pour les gens. On y retrouve un mélange de solennel, d’absurde, de festif et de mystérieux. C’est cela qui m’intéresse particulièrement », poursuit-il.
Des rituels formant un récit épique
En Entre-Sambre-et-Meuse, la Sainte-Rolende de Gerpinnes est une marche religieuse incontournable, démarrant à 3h45 du matin et transportant la châsse de la matrone de la ville sur 35 kilomètres. Dans chaque village qu’elle traverse, elle est escortée par des marcheurs en costumes militaires du 19e, avançant au rythme des batteries et tirant des salves à chaque arrêt. À Bouge, sept feux périphériques, allumés les uns après les autres, forment un rituel célébrant la fin de l’hiver. Le dernier d’entre eux – un bûcher de 15 mètres de haut – enflamme le Bonhomme Hiver, comme une manière de décourager le mauvais temps de perdurer. À Écaussinnes, le Goûter matrimonial – « sorte de Tinder d’avant l’heure », s’amuse le photographe – né d’une farce imaginée par le fils d’un imprimeur au début du 20e siècle, entend marier, chaque année, tous les célibataires du coin. Plus récent, le Carnaval Sauvage s’étend dans un environnement urbain. Les participant·es confectionnent leurs costumes avec des matériaux de récupérations et défilent dans des lieux emblématiques de la gentrification et de la spéculation immobilière à Bruxelles. « Un collectif bruxellois et à l’initiative de l’évènement. En plus de remettre en cause l’ordre social, il constitue une critique des pressions économiques et politiques qui pèsent sur la ville », précise Rodolphe de Brabandere.
Sans mise en scène aucune – l’exception de quelques portraits posés – le photographe fait de Mythologie un récit à l’épreuve des siècles et à l’ambition épique. « On peut imaginer la série comme l’odyssée d’un Ulysse belge qui rencontre des personnages et traditions étranges lors de son voyage », s’amuse-t-il. Prises en noir et blanc, les images s’unissent, malgré la diversité des rituels représentés, se moquent des anachronismes pour nous inviter à nous affranchir de tout réalisme. Dans l’herbe, une femme et une enfant aux tenues actuelles croisent un cavalier costumé d’un autre temps. Les lunettes des passant·es deviennent des indices, ancrant la scène dans une contemporanéité aussitôt reniée par les uniformes qu’iels revêtent. Partout, le spectacle bat son plein. Les robes brillent, les brasiers brûlent les rétines. Les vessies de porcs évoquent des ballons prêts à s’envoler sous les yeux étonnés d’un chien gourmand, les clairs-obscurs dévoilent des étincelles s’échappant des feux, éclairages féériques de nuits de célébration. Et puis, toujours, les corps réunis, les visages convergents. Une force collective, révélée par la théâtralité de leur ordinaire. « Ce travail souligne avant tout la nécessité qu’ont les hommes et femmes de se rassembler autour d’un rituel commun », résume Rodolphe de Brabandere.