Jusqu’au 17 mars 2024, le collectif LesAssociés présente l’exposition 600° au cœur de l’Espace Saint-Rémi, à Bordeaux. Un récit choral dédié aux incendies de l’été 2022 où s’entrechoquent diverses écritures photographiques et artistiques. Autant de manières d’explorer les conséquences écologiques et sociétales d’un tel événement.
« Presque 30 000 hectares de forêt partis en flamme. Ce chiffre avancé par les autorités, quoique saisissant, demeure pourtant abstrait (…). L’Espace Saint-Rémi fait 500 m2. 30 000 hectares, c’est six cent mille fois l’espace de cette exposition », peut-on lire sur les panneaux gris accrochés aux murs de pierre. Sous les hautes voutes de l’Église Saint-Rémi, au cœur de Bordeaux, les photographies du collectif LesAssociés (composé d’Alban Dejong, Frédéric Corbion, Cyrille Latour, Olivier Panier des Touches, Alexandre Dupeyron, Hervé Lequeux, Michaël Parpet, Joël Peyrou et Elie Monférier) se parent d’une aura sacrée. Comme un hommage à une nature torturée, brûlée vive, et à celles et ceux qui en dépendent.
Dans l’immensité du lieu, les images prennent la forme de ponctuations, guidant les visiteurices dans un parcours qu’il leur appartient de personnaliser. Au sol sous la forme de carrés blancs, on devine l’emplacement théorique des arbres brûlés – les forêts d’exploitation industrielle étant organisées de manière rectiligne. À gauche, le corpus d’images présenté nous invite à découvrir l’impact direct de l’incendie sur l’Homme. À droite, c’est la résilience qui est surlignée. Le calme après la tempête, qui résonne étrangement dans le silence réinstauré. Il nous semble d’ailleurs presque sentir encore l’odeur douçâtre de la fumée. Au fond, enfin, Jacques Sorrentini Zibjan et Morvarid K – toustes deux invité·es par le collectif – déclinent leurs manières de représenter le feu. L’un à l’aide d’une vidéo interrogeant la couleur et la température de l’élément, et la seconde au moyen d’une écriture plasticienne et performative qui convoque le sensible pour saisir la douleur.
28 833 hectares brûlés, 46 615 personnes évacuées
600°, c’est la température des sols qui continuent, encore aujourd’hui, de se consumer. Un chiffre qui choque, qui marque les esprits. Après avoir été exposé aux Rencontres d’Arles et à Fotohaus Berlin, LesAssociés présente ici le dernier point d’une étape avant la restitution finale de ce projet au long cours, prévue à l’été 2025. Tous établis à Bordeaux, c’est naturellement que les photographes du collectif se sont intéressés aux incendies de Gironde de l’été 2022. Une catastrophe naturelle aux conséquences lourdes : « 28 833 hectares brûlés, 2800 habitations exposées au feu, 46 615 personnes évacuées, 4200 pompiers mobilisés », rappellent les artistes. Ancrant leur projet dans une temporalité longue, ils conjuguent alors leurs écritures, leur rapport à l’image pour tenter de représenter l’ampleur des conséquences d’une telle destruction. Images, vidéos, installations sonores, textes et détails scénographiques s’imposent comme autant de détails apportant des nuances à un sujet complexe et délicat. « La forêt soulève plein d’enjeux différents, car les gens la pratiquent de bien des manières : il y a les agriculteurices, mais aussi les chasseur·ses,les habitant·es… Nous avons fait le choix d’une production “éclatée” pour donner la mesure de la complexité de ce territoire », explique Elie Monférier, qui signe la direction artistique de l’exposition.
Et pour déclencher l’immersion, une installation sonore résonne, diffusant une trentaine de témoignages – les voix des victimes de ces incendies. Au centre, l’espace presque vide de l’église nous renvoie à la destruction des feux sauvages, tandis que le gris cendré des cartels – fil d’Ariane de 600° – convoque la couleur dominante de la post-catastrophe, lorsque le paysage est calciné. De part et d’autre, les productions des photographes sont mêlées les unes aux autres. Du documentaire à l’artistique, de la couleur au monochrome, de la contemplation à l’émotion brute, les œuvres présentées parviennent à saisir l’égarement, le désespoir de celles et ceux qui perdent tout, mais aussi la résilience qui naît de l’après. Comme si, en donnant à voir la diversité esthétique, LesAssociés prenait le pouls d’une société en désarroi. Violente et belle, l’exposition s’attache à raconter l’autour. En marge des représentations ancrées dans l’urgence de la diffusion, elle prend le temps de soupeser, de souligner ce qui est habituellement laissé de côté. Pour, finalement, parvenir à rendre visible une forme d’effacement. Une volonté collective que Morvarid K parvient à résumer parfaitement : « Il y a une forme de déni qui s’opère, lorsqu’on voit une forêt calcinée. Une sorte de persistance rétinienne. J’ai plutôt voulu m’intéresser à “l’après-feu”, quand tout est cramé, travailler sur le rapport émotionnel que l’on a face aux terres brûlées. »