600° : à Bordeaux, LesAssociés plongent dans les décombres des incendies

15 février 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
600° : à Bordeaux, LesAssociés plongent dans les décombres des incendies
© Alban Dejong
© Alban Dejong / LesAssociés
© Joël Peyrou / LesAssociés

Jusqu’au 17 mars 2024, le collectif LesAssociés présente l’exposition 600° au cœur de l’Espace Saint-Rémi, à Bordeaux. Un récit choral dédié aux incendies de l’été 2022 où s’entrechoquent diverses écritures photographiques et artistiques. Autant de manières d’explorer les conséquences écologiques et sociétales d’un tel événement.

« Presque 30 000 hectares de forêt partis en flamme. Ce chiffre avancé par les autorités, quoique saisissant, demeure pourtant abstrait (…). L’Espace Saint-Rémi fait 500 m2. 30 000 hectares, c’est six cent mille fois l’espace de cette exposition », peut-on lire sur les panneaux gris accrochés aux murs de pierre. Sous les hautes voutes de l’Église Saint-Rémi, au cœur de Bordeaux, les photographies du collectif LesAssociés (composé d’Alban Dejong, Frédéric Corbion, Cyrille Latour, Olivier Panier des Touches, Alexandre Dupeyron, Hervé Lequeux, Michaël Parpet, Joël Peyrou et Elie Monférier) se parent d’une aura sacrée. Comme un hommage à une nature torturée, brûlée vive, et à celles et ceux qui en dépendent.

Dans l’immensité du lieu, les images prennent la forme de ponctuations, guidant les visiteurices dans un parcours qu’il leur appartient de personnaliser. Au sol sous la forme de carrés blancs, on devine l’emplacement théorique des arbres brûlés – les forêts d’exploitation industrielle étant organisées de manière rectiligne. À gauche, le corpus d’images présenté nous invite à découvrir l’impact direct de l’incendie sur l’Homme. À droite, c’est la résilience qui est surlignée. Le calme après la tempête, qui résonne étrangement dans le silence réinstauré. Il nous semble d’ailleurs presque sentir encore l’odeur douçâtre de la fumée. Au fond, enfin, Jacques Sorrentini Zibjan et Morvarid K – toustes deux invité·es par le collectif – déclinent leurs manières de représenter le feu. L’un à l’aide d’une vidéo interrogeant la couleur et la température de l’élément, et la seconde au moyen d’une écriture plasticienne et performative qui convoque le sensible pour saisir la douleur.

© Hervé Lequeux / LesAssociés

© Hervé Lequeux / LesAssociés
© Elie Monferier / LesAssociés

28 833 hectares brûlés, 46 615 personnes évacuées

600°, c’est la température des sols qui continuent, encore aujourd’hui, de se consumer. Un chiffre qui choque, qui marque les esprits. Après avoir été exposé aux Rencontres d’Arles et à Fotohaus Berlin, LesAssociés présente ici le dernier point d’une étape avant la restitution finale de ce projet au long cours, prévue à l’été 2025. Tous établis à Bordeaux, c’est naturellement que les photographes du collectif se sont intéressés aux incendies de Gironde de l’été 2022. Une catastrophe naturelle aux conséquences lourdes : « 28 833 hectares brûlés, 2800 habitations exposées au feu, 46 615 personnes évacuées, 4200 pompiers mobilisés », rappellent les artistes. Ancrant leur projet dans une temporalité longue, ils conjuguent alors leurs écritures, leur rapport à l’image pour tenter de représenter l’ampleur des conséquences d’une telle destruction. Images, vidéos, installations sonores, textes et détails scénographiques s’imposent comme autant de détails apportant des nuances à un sujet complexe et délicat. « La forêt soulève plein d’enjeux différents, car les gens la pratiquent de bien des manières : il y a les agriculteurices, mais aussi les chasseur·ses,les habitant·es… Nous avons fait le choix d’une production “éclatée” pour donner la mesure de la complexité de ce territoire », explique Elie Monférier, qui signe la direction artistique de l’exposition.

Et pour déclencher l’immersion, une installation sonore résonne, diffusant une trentaine de témoignages – les voix des victimes de ces incendies. Au centre, l’espace presque vide de l’église nous renvoie à la destruction des feux sauvages, tandis que le gris cendré des cartels – fil d’Ariane de 600° – convoque la couleur dominante de la post-catastrophe, lorsque le paysage est calciné. De part et d’autre, les productions des photographes sont mêlées les unes aux autres. Du documentaire à l’artistique, de la couleur au monochrome, de la contemplation à l’émotion brute, les œuvres présentées parviennent à saisir l’égarement, le désespoir de celles et ceux qui perdent tout, mais aussi la résilience qui naît de l’après. Comme si, en donnant à voir la diversité esthétique, LesAssociés prenait le pouls d’une société en désarroi. Violente et belle, l’exposition s’attache à raconter l’autour. En marge des représentations ancrées dans l’urgence de la diffusion, elle prend le temps de soupeser, de souligner ce qui est habituellement laissé de côté. Pour, finalement, parvenir à rendre visible une forme d’effacement. Une volonté collective que Morvarid K parvient à résumer parfaitement : « Il y a une forme de déni qui s’opère, lorsqu’on voit une forêt calcinée. Une sorte de persistance rétinienne. J’ai plutôt voulu m’intéresser à “l’après-feu”, quand tout est cramé, travailler sur le rapport émotionnel que l’on a face aux terres brûlées. »

© Elie Monferier / LesAssociés
© Alexandre Dupeyron / LesAssociés
© Michaël Parpet

© Alban Dejong / LesAssociés

© Alexandre Dupeyron
© Michaël Parpet
À lire aussi
Focus #22 : Elie Monférier, des bêtes et des hommes
Focus #22 : Elie Monférier, des bêtes et des hommes
Comme tous les mercredis, voici le rendez-vous Focus de la semaine ! Aujourd’hui, lumière sur Elie Monférier qui livre, avec Sang Noir…
28 septembre 2022   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Nature et Société, les maîtres mots de l’édition arlésienne 2023 de Fotohaus
© DOCKS Collectif
Nature et Société, les maîtres mots de l’édition arlésienne 2023 de Fotohaus
Jusqu’au 24 septembre, Fotohaus pose ses valises à la Fondation Manuel Riviera-Ortiz d’Arles. Au cœur de l’exposition, cette année, une…
05 juillet 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
La Brûlure : Maude Girard capture le cri d’une terre enflammée
© Maude Girard
La Brûlure : Maude Girard capture le cri d’une terre enflammée
C’est un monde incandescent que présente Maude Girard, photographe-auteure et ancienne journaliste de 34 ans…
28 août 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Explorez
Rebecca Najdowski : expérimentations et désastre écologique
© Rebecca Najdowski
Rebecca Najdowski : expérimentations et désastre écologique
Dans sa série Ambient Pressure, l’artiste Rebecca Najdowski nous invite à interroger le rôle du médium photographique dans notre...
18 décembre 2024   •  
Écrit par Agathe Kalfas
La sélection Instagram #485 : livre de la jungle
© Janis Brod / Instagram
La sélection Instagram #485 : livre de la jungle
Les photographes de notre sélection Instagram de la semaine explorent la jungle, autant celle faite d’arbres et de fougères luxuriantes...
17 décembre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
Le Festival du Regard fait sa zoothérapie
© Daniel Gebbhart de Koekkoek
Le Festival du Regard fait sa zoothérapie
À mesure que notre vie s’urbanise, nos liens avec les animaux s’étiolent. Il est temps d’y remédier. Grâce au travail d’une...
14 décembre 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Arktis : la dystopie polaire d’Axelle de Russé
© Axelle de Russé
Arktis : la dystopie polaire d’Axelle de Russé
Pendant huit ans, la photographe Axelle de Russé a suivi l’évolution du réchauffement climatique en Arctique, une réalité qui chaque jour...
12 décembre 2024   •  
Écrit par Agathe Kalfas
Nos derniers articles
Voir tous les articles
The Color of Money and Trees: portraits de l'Amérique désaxée
©Tony Dočekal. Chad on Skid Row
The Color of Money and Trees: portraits de l’Amérique désaxée
Livre magistral de Tony Dočekal, The Color of Money and Trees aborde les marginalités américaines. Entre le Minnesota et la Californie...
21 décembre 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
Paysages mouvants : la jeune création investit le Jeu de Paume
© Prune Phi
Paysages mouvants : la jeune création investit le Jeu de Paume
Du 7 février au 23 mars 2025, le Jeu de Paume accueille le festival Paysages mouvants, un temps de réflexion et de découverte dédié à la...
20 décembre 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
Mirko Ostuni : une adolescence dans les Pouilles
© Mirko Ostuni, Onde Sommerse.
Mirko Ostuni : une adolescence dans les Pouilles
Dans Onde Sommerse, Mirko Ostuni dresse le portrait de sa propre génération se mouvant au cœur des Pouilles. Cette jeunesse tendre et...
20 décembre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
Ces séries photographiques qui cherchent à guérir les blessures
© Maurine Tric
Ces séries photographiques qui cherchent à guérir les blessures
Pour certain·es artistes, la photographie a un pouvoir cathartique ou une fonction guérisseuse. Iels s'en emparent pour panser les plaies...
19 décembre 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine