Avec Calques, Margaux Roy explore le quotidien intimiste des pros de la retouche. En dispersant ou en superposant les couches, elle dévoile la prose qui émane de l’ordinaire, toujours avec amusement et douceur.
Des couleurs irisées, un grain voluptueux et une narration tendre, sincère et brève. Voici les ingrédients de la « météorologie des sentiments » de Margaux Roy, comme elle l’appelle. La photographe et réalisatrice, tout droit sortie du département de Photographie des Gobelins, aime parler de la vie de tous les jours, à « travers les histoires personnelles où tout le monde peut trouver une partie de soi », détaille-t-elle. Si elle aborde le quotidien, elle le fait toujours avec une touche d’humour, le raconte de manière positive, même s’il ne l’est pas au premier abord. Elle se demande : « Comment se servir de ce qui nous fait défaut ? ».
L’intime se dessine dans l’attente marquée par le Covid, dans la nostalgie de l’été, dans la séparation amoureuse vue par nos objets, sur le corps et la peau. Aussi délicatement que les vers d’un poème qui s’écrivent sur le papier, Margaux Roy capture sa poésie du quotidien à la croisée des médiums photographiques et vidéos. « Avant de me lancer dans un nouveau projet, j’hésite souvent entre le photographier ou le filmer. Alors, il m’arrive d’en faire un film photographique pour combiner les deux approches, explique-t-elle. Travailler le son en décalage de l’image me permet presque de raconter une nouvelle histoire, cela ajoute une couche de poésie. » Sa série Calques s’inscrit dans une démarche organique, une façon de déceler le méticuleux derrière le geste répétitif du numérique. Une déviation abstraite qui reste enracinée dans son approche artistique.
Déconstruire la retouche
La notion de wabi-sabi (notion japonaise, esthétique et spirituelle qui célèbre la beauté dans l’imperfection et l’impermanence, ndlr) infuse dans le travail de Margaux Roy. Pour l’artiste, cela veut dire : « poser son regard sur les choses “petites” et “subtiles”, mettre en valeur les couleurs silencieuses et pas nécessairement flamboyantes, rester humble ». C’est certainement en cela que Calques résonne tout autant dans le corpus de l’œuvre de Margaux Roy. S’il transparaît comme un décalage abstrait de son travail, il reste ancré dans l’intime et le quotidien, « mais s’apparente davantage à un travail de plasticienne », ajoute-t-elle.
Alors qu’elle effectue un stage dans une entreprise de retouche numérique, elle découvre les dessous du métier de retoucheur·se, un univers enfoui dans l’ombre des pièces tamisées où vibrent les grésillements de radio. Dans cet environnement, détail, minutie, patience et humilité sont les maîtres-mots. « En analysant mes fichiers Photoshop pendant ce stage, je me suis rendu compte de tous ces petits gestes que j’avais pratiqués pendant la retouche. Je voulais mettre en avant ce travail manuel, de précision », raconte Margaux Roy. Pour Calques, elle décide de retranscrire toutes ces étapes une par une. Elle photographie les parties de corps de deux personnes, « pour rester dans l’abstrait », s’attelle à la retouche, puis sépare chaque calque de travail de Photoshop et les imprime individuellement sur du papier légèrement transparent et texturé « pour amplifier ce côté artisanal du geste de retoucheur·se » avoue-t-elle. Des taches de couleur, des traces semblables au fusain, le contraste ou la chaleur, se dévoilent délicatement, là où est passée la main de Margaux Roy. Ce lyrisme est une ode au quotidien des retoucheur·ses, un témoignage intime, car « la peau, ici retouchée, n’est-elle pas ce qu’on a de plus intime ? Et à la fois, le plus visible aux autres ? » s’interroge l’artiste. Un questionnement qui s’étend d’ailleurs jusqu’à la photographie de mode où les frontières entre sujet et objet se brouillent.