Enjeux sociétaux, crise environnementale, représentation du genre… Les photographes publié·es sur Fisheye ne cessent de raconter, par le biais des images, les préoccupations de notre époque. Depuis nos débuts, la communauté queer et son incroyable diversité a su nourrir notre curation. Qu’elle capture une notion de famille recomposée, explore ses différences à coups d’expérimentations plastiques ou devienne l’archiviste d’une histoire tumultueuse, elle ne cesse de nous inspirer. À l’occasion du mois des fiertés, et de la sortie de notre dernier numéro, dédié à la communauté LGBTQIA+, lumière sur certain·es d’entre elleux : Rene Matić, Nicola Le Calzo, SMITH, Karlo Martinez, Zoé Chauvet et William Zou.
Bien s’occuper de ses kids
Fêtes, rires, retrouvailles, confidences… Au flash, dans l’intimité des appartements ou la tranquillité d’un jardin, Rene Matić capture, à l’aide son 35 mm, les joies qui ponctuent les instants passés avec sa famille recomposée. Originaire de l’est de l’Angleterre, l’auteurice non-binaire a documenté, pendant trois ans, l’amour qui émane de sa communauté, la libération qu’elle chérit à chaque moment. Des fragments chaleureux contrastant avec la réalité d’un gouvernement toujours plus fermé aux changements. Alors, pour braver l’intolérance, et célébrer leur singularité, l’artiste imagine un pays utopique, où ne cesse de naître le bonheur – loin de toute notion de carcan. « Mon livre est l’opposé de ce que le terme “définition” évoque », précise-t-iel d’ailleurs.
C’est aussi au flash que Nicola Lo Calzo construit LYANNAJ (« faire le lien, allier et rallier », en créole, ndlr), un projet réalisé dans le cadre de la grande commande photographique lancée par le ministère de la Culture. Désireux de rendre hommage à la dimension familiale des communautés queers – on pense notamment à la culture ballroom, où les danseur·ses se regroupent dans des houses, gérées par des mothers et fathers qui s’occupent de leurs kids – le photographe s’immisce dans ces lieux où l’entraide règne. Au cœur des fêtes et des célébrations, il dénonce l’homotransphobie en rendant hommage à la pluralité de la communauté LGBTQIA+. « Il n’est pas question de réduire l’expérience queer à une identité figée. Au contraire, ce qui m’intéresse, c’est de montrer son hétérogénéité », affirme-t-il.
L’archive : une représentation sans faille
Adoptant une écriture plus douce, où règnent lumière naturelle, natures mortes sensuelles et archives mélancoliques, William Zou imagine quant à lui, avec Soliloquy, un récit alternatif entre deux époques. « En replaçant les notions de queerness, de diaspora et de famille dans de nouveaux échos spatiotemporels, je cherche à révéler l’identité en tant qu’expérience fragmentée en continuelle métamorphose », explique-t-il. Lui-même venu de Budapest, l’auteur croise des fragments d’histoire de sa famille originaire d’Asie de l’Est à sa propre vision d’une identité en perpétuelle évolution. Une manière poétique de s’émanciper des cases qui formatent l’existence, pour mieux vivre son individualité.
Un travail d’archiviste qui passionne également Zoé Chauvet. Dans Altær, expérimentations visuelles aux frontières de l’abstrait croisent des portraits de proches et même des paysages naturels. Un panorama intimiste illustrant à la fois la diversité humaine et le besoin d’ancrer, de manière tangible, les récits qui animent les communautés. « À mon sens, la mémoire, c’est le pouvoir. Disposer d’archives, c’est pouvoir dire : on existe, on a une histoire commune. Cela permet de se rappeler des luttes passées pour pouvoir construire celles qui viennent », confie celle qui n’a de cesse d’étoffer sa bibliothèque visuelle pour une meilleure représentation.
L’exploration en tous genres
C’est tout un univers que construit l’artiste visuel SMITH pour, lui aussi, témoigner d’un état : la désidération, cette perte de connexion à l’espace et à l’environnement qui semble toucher la population entière. Croisant caméras thermiques, infrarouges, vidéos et même installations sonores et échangeant avec un astronaute, un danseur ou même un chasseur de météorite, l’auteur multiplie les expérimentations et érige un univers hors du réel où « les genres, les espaces, le minéral, l’humain, le végétal » s’enlacent en harmonie. Alors, dans cette atmosphère unique où naviguent les êtres et leur environnement, les liens invisibles qui composent notre monde apparaissent, et nous rappellent leur importance.
Enfin, explorant lui aussi les confins du médium photographique, Karlo Martinez s’empare de l’art du collage pour rendre hommage à la communauté queer. Dans son œuvre, autoportraits, architecture et montages suggestifs illustrent, non sans humour, le besoin d’assumer sa sexualité dans un monde hétéronormé. Fasciné par l’imagerie pornographique, il imagine ainsi non seulement une célébration de la sexualité et du regard queer, mais aussi un hommage aux travailleur·ses du sexe, « une industrie souvent dénigrée ou jugée honteuse », commente-t-il.