Enjeux sociétaux, troubles politiques, crise environnementale, représentation du genre… Les photographes publié·es sur nos pages ne cessent de raconter, à travers l’image, les troubles de notre monde. À travers des prismes différents, des angles, des regards, des pratiques variées ils et elles se font les témoins d’une contemporanéité en constante évolution. Ce mois-ci, nous avons souhaité revenir sur des travaux explorant, dans le processus de création comme dans le fond, les transformations de notre écosystème à l’aune du réchauffement climatique, le plus souvent à mi-chemin entre l’art et la science. Une manière pour les artistes publié·es sur nos pages de faire intervenir les notions de faune et de flore, de toxicité et d’écologie. Lumière sur quatre d’entre elleux : Tamaki Yoshida, Alice Pallot, Ilanit Illouz et Richard Pak.
Substances polluantes des milieux aquatiques, altérations du paysage, accélération drastique de la transformation des cycles naturels, disparition d’espèces… derrière cet ensemble de bouleversements, un seul coupable : l’humain. Qu’elles soient visibles immédiatement ou révélées par le temps, les traces qu’il laisse derrière lui peuvent prendre des allures effrayantes, envoûtantes, voire sublimes… Car de l’ambivalence et de la toxicité de toutes choses peut naître une véritable fascination poétique. Plus que jamais aujourd’hui, les artistes viennent relever ce paradoxe, et font dialoguer poison et écologie. Pour interroger notre relation à la nature, et tenter de rappeler la possible coexistence des êtres avec leur environnement, nombreux·ses d’entre elleux imaginent le réel autrement, grâce aux expérimentations techniques et en ouvrant le champ des possibles, utopiques ou dystopiques.
Une écologie en négatif
Alice Pallot investit le pouvoir du genre de l’anticipation afin de révéler les possibilités d’agir aujourd’hui pour l’avenir. Pour son projet Algues maudites, elle s’est focalisée sur la toxicité des algues qui envahissent les eaux bretonnes, et construit ainsi un beau récit où la nature transformée par l’être humain devient aussi belle que tueuse. La photographe va jusqu’à reproduire artificiellement le phénomène des marées vertes pour imaginer à quoi ressemblerait notre futur proche – dans le cas où nous continuerions dans cette direction. Son œuvre se perçoit même sous le prisme de la pollution, puisqu’elle emploie comme filtres photographiques des déchets glanés sur des plages de Bretagne.
Et si la photographie avait le pouvoir de révéler une anti-écologie, une écologie en négatif ? La photographe japonaise Tamaki Yoshida a imaginé Negative Ecology, un travail de sensibilisation, où elle tente de proposer une autre approche de l’environnement, à travers les yeux des créatures vivantes. Elle capture en effet des animaux sauvages sur des pellicules en négatif, puis mélange le révélateur avec des produits chimiques employés dans sa vie quotidienne, comme ses shampoings, produits vaisselle, cosmétiques et autres dentifrices. Une manière impactante d’alerter le public sur nos actes et leurs effets, puisque les taches et les couleurs étranges causées par la chimie font écho tant à l’extermination des animaux qu’aux catastrophes nucléaires ou aux tremblements de terre.
Un paysage d’apocalypse
Richard Pak, photographe français, s’est intéressé quant à lui à Nauru, une île devenue un eldorado au début du 20e siècle pour les compagnies coloniales. En cause ? Sa mine de phosphate, qui aura permis à ce territoire de s’enrichir autant que d’être conduit à sa propre perte. Dans Les Îles du désir, Nauru constitue le théâtre des expérimentations de cet artiste qui mêle les langages, de la photographie à la vidéo et au storytelling. Sa démarche, audacieuse et profonde, est alors de sacrifier ses négatifs dans le phosphate lui-même, dans un geste imitant l’irréversibilité des dégâts climatiques. En résultent des images aux palettes faites de nuances de rose, rouge et orange, à l’effet esthétique qui rappelle autant les effets ravageurs des transformations de la nature par l’humain que la beauté du paysage déchu.
Ilanit Illouz interroge elle aussi à sa manière la trace et la disparition. Cette photographe explore un territoire devenu la « proie des choix des humains », aux frontières de la mer Morte – frontière naturelle entre la Jordanie, Israël et la Palestine. Devenu sec et aride en raison de l’assèchement progressif du Jourdain, il est désormais semblable à la Lune et des dolines (des dépressions remplies de sel, qui signalent l’érosion du sol, ndlr) s’y forment. Les Dolines est le résultat d’une fossilisation des tirages des photographies de ce paysage étrange, par le sel ramassé sur place. Elles apparaissent ainsi comme des sculptures, majestueuses et fantastiques, qui dessinent un paysage d’apocalypse.