Les photographes de Fisheye et la pollution sublimée

09 février 2024   •  
Écrit par Milena III
Les photographes de Fisheye et la pollution sublimée
© Richard Pak
© Alice Pallot
© Tamaki Yoshida
© Ilanit Illouz – Fisheye Gallery

Enjeux sociétaux, troubles politiques, crise environnementale, représentation du genre… Les photographes publié·es sur nos pages ne cessent de raconter, à travers l’image, les troubles de notre monde. À travers des prismes différents, des angles, des regards, des pratiques variées ils et elles se font les témoins d’une contemporanéité en constante évolution. Ce mois-ci, nous avons souhaité revenir sur des travaux explorant, dans le processus de création comme dans le fond, les transformations de notre écosystème à l’aune du réchauffement climatique, le plus souvent à mi-chemin entre l’art et la science. Une manière pour les artistes publié·es sur nos pages de faire intervenir les notions de faune et de flore, de toxicité et d’écologie. Lumière sur quatre d’entre elleux : Tamaki Yoshida, Alice Pallot, Ilanit Illouz et Richard Pak.

Substances polluantes des milieux aquatiques, altérations du paysage, accélération drastique de la transformation des cycles naturels, disparition d’espèces… derrière cet ensemble de bouleversements, un seul coupable : l’humain. Qu’elles soient visibles immédiatement ou révélées par le temps, les traces qu’il laisse derrière lui peuvent prendre des allures effrayantes, envoûtantes, voire sublimes… Car de l’ambivalence et de la toxicité de toutes choses peut naître une véritable fascination poétique. Plus que jamais aujourd’hui, les artistes viennent relever ce paradoxe, et font dialoguer poison et écologie. Pour interroger notre relation à la nature, et tenter de rappeler la possible coexistence des êtres avec leur environnement, nombreux·ses d’entre elleux imaginent le réel autrement, grâce aux expérimentations techniques et en ouvrant le champ des possibles, utopiques ou dystopiques. 

Une écologie en négatif

Alice Pallot investit le pouvoir du genre de l’anticipation afin de révéler les possibilités d’agir aujourd’hui pour l’avenir. Pour son projet Algues maudites, elle s’est focalisée sur la toxicité des algues qui envahissent les eaux bretonnes, et construit ainsi un beau récit où la nature transformée par l’être humain devient aussi belle que tueuse. La photographe va jusqu’à reproduire artificiellement le phénomène des marées vertes pour imaginer à quoi ressemblerait notre futur proche – dans le cas où nous continuerions dans cette direction. Son œuvre se perçoit même sous le prisme de la pollution, puisqu’elle emploie comme filtres photographiques des déchets glanés sur des plages de Bretagne. 

Et si la photographie avait le pouvoir de révéler une anti-écologie, une écologie en négatif ? La photographe japonaise Tamaki Yoshida a imaginé Negative Ecology, un travail de sensibilisation, où elle tente de proposer une autre approche de l’environnement, à travers les yeux des créatures vivantes. Elle capture en effet des animaux sauvages sur des pellicules en négatif, puis mélange le révélateur avec des produits chimiques employés dans sa vie quotidienne, comme ses shampoings, produits vaisselle, cosmétiques et autres dentifrices. Une manière impactante d’alerter le public sur nos actes et leurs effets, puisque les taches et les couleurs étranges causées par la chimie font écho tant à l’extermination des animaux qu’aux catastrophes nucléaires ou aux tremblements de terre.

Un paysage d’apocalypse

Richard Pak, photographe français, s’est intéressé quant à lui à Nauru, une île devenue un eldorado au début du 20e siècle pour les compagnies coloniales. En cause ? Sa mine de phosphate, qui aura permis à ce territoire de s’enrichir autant que d’être conduit à sa propre perte. Dans Les Îles du désir, Nauru constitue le théâtre des expérimentations de cet artiste qui mêle les langages, de la photographie à la vidéo et au storytelling. Sa démarche, audacieuse et profonde, est alors de sacrifier ses négatifs dans le phosphate lui-même, dans un geste imitant l’irréversibilité des dégâts climatiques. En résultent des images aux palettes faites de nuances de rose, rouge et orange, à l’effet esthétique qui rappelle autant les effets ravageurs des transformations de la nature par l’humain que la beauté du paysage déchu.

Ilanit Illouz interroge elle aussi à sa manière la trace et la disparition. Cette photographe explore un territoire devenu la « proie des choix des humains », aux frontières de la mer Morte – frontière naturelle entre la Jordanie, Israël et la Palestine. Devenu sec et aride en raison de l’assèchement progressif du Jourdain, il est désormais semblable à la Lune et des dolines (des dépressions remplies de sel, qui signalent l’érosion du sol, ndlr) s’y forment. Les Dolines est le résultat d’une fossilisation des tirages des photographies de ce paysage étrange, par le sel ramassé sur place. Elles apparaissent ainsi comme des sculptures, majestueuses et fantastiques, qui dessinent un paysage d’apocalypse. 

© Ilanit Illouz – Fisheye Gallery
© Richard Pak
Topside #1371_01, série « L’île naufragée » © Richard Pak
© Tamaki Yoshida
© Alice Pallot
À lire aussi
Focus #57 : Alice Pallot et la prolifération cauchemardesque d’algues toxiques
6:27
© Fisheye Magazine
Focus #57 : Alice Pallot et la prolifération cauchemardesque d’algues toxiques
C’est l’heure du rendez-vous Focus ! Cette semaine, Alice Pallot revient sur Algues Maudites, un projet aux frontières de la science et…
20 septembre 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Women In Motion : Poison et écologie dans les images de Tamaki Yoshida
© Tamaki Yoshida
Women In Motion : Poison et écologie dans les images de Tamaki Yoshida
À l’occasion des dix ans de Kyotographie, les fondateur·ices du festival, Lucille Reyboz et Yusuke Nakanishi, épaulé·es par…
08 mai 2022   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Richard Park remporte le premier prix Photographie & Sciences !
Richard Park remporte le premier prix Photographie & Sciences !
La Résidence 1+2, l’ADAGP et le CNRS viennent de révéler le lauréat du Prix Photographie & Sciences : Richard Pak. Lumière sur le…
02 novembre 2021   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Ilanit Illouz et Laure Winants : matières à réflexion
© Ilanit Ilouz
Ilanit Illouz et Laure Winants : matières à réflexion
Ilanit Illouz et Laure Winants, deux artistes représentées par la Fisheye Gallery, développent un travail profondément ancré dans la…
10 novembre 2023   •  
Écrit par Eric Karsenty
Explorez
5 coups de cœur qui photographient la neige
© Loan Silvestre
5 coups de cœur qui photographient la neige
Tous les lundis, nous partageons les projets de deux photographes qui ont retenu notre attention dans nos coups de cœur. Cette semaine...
22 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
26 séries de photographies qui capturent l'hiver
Images issues de Midnight Sun (Collapse Books, 2025) © Aliocha Boi
26 séries de photographies qui capturent l’hiver
L’hiver, ses terres enneigées et ses festivités se révèlent être la muse d’un certain nombre de photographes. À cette occasion, la...
17 décembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Grégoire Beraud et les terres colorées de l'Amazonie
Kipatsi © Grégoire Beraud
Grégoire Beraud et les terres colorées de l’Amazonie
Dans sa série Kípatsi, réalisée dans l’Amazonie péruvienne, Grégoire Beraud met en lumière la communauté Matsigenka, sa relation à la...
13 décembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les coups de cœur #567 : Himanshu Vats et Grant Harder
© Grant Harder
Les coups de cœur #567 : Himanshu Vats et Grant Harder
Himanshu Vats et Grant Harder, nos coups de cœur de la semaine, explorent la nature, et les liens qu’elle entretient avec les humains. Le...
01 décembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Trophées Photos Jeunes D’Avenirs : quand les jeunes s’emparent de l’image 
Les avenirs vacants, Grand Prix du Jury © Victor Arsic
Trophées Photos Jeunes D’Avenirs : quand les jeunes s’emparent de l’image 
Le Groupe AEF info a annoncé les lauréat·es de la première édition de son concours Trophées Photos Jeunes D’Avenirs. Six jeunes artistes...
Il y a 2 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
La sélection Instagram #538 : le grand manteau blanc
© Christie Fitzpatrick / Instagram
La sélection Instagram #538 : le grand manteau blanc
À l’approche des fêtes de fin d’année, les artistes de notre sélection Instagram de la semaine capturent la poudreuse, les chutes...
Il y a 7 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Le 7 à 9 de Chanel : Claire Denis et la fabrique du monde
Tracey Vessey, extrait du film Trouble Every day, film de Claire Denis, Paris, 2001 © Rezo Productions
Le 7 à 9 de Chanel : Claire Denis et la fabrique du monde
Pour ce nouveau 7 à 9 de Chanel au Jeu de Paume, la scénariste et réalisatrice Claire Denis était invitée à revenir sur ses racines, ses...
22 décembre 2025   •  
Écrit par Ana Corderot
5 coups de cœur qui photographient la neige
© Loan Silvestre
5 coups de cœur qui photographient la neige
Tous les lundis, nous partageons les projets de deux photographes qui ont retenu notre attention dans nos coups de cœur. Cette semaine...
22 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet