Les photographes dans Fisheye célèbrent la Terre, sa fragilité et sa grandeur

22 avril 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les photographes dans Fisheye célèbrent la Terre, sa fragilité et sa grandeur
Camsuza © Julie Arnoux
un paysage bleu avec une lumière au fond
Metamorphosis © Claudia Fuggetti
une montagne qui semble infectée de virus roses
Metamorphosis © Claudia Fuggetti

Enjeux sociétaux, crise environnementale, représentation du genre… Les photographes publié·es sur Fisheye ne cessent de raconter, par le biais des images, les préoccupations de notre époque. À l’occasion de la journée de la Terre, célébrée ce mardi 22 avril 2025, nous revenons sur des séries photographiques qui rendent hommage à notre planète qui est confrontée à de violentes mutations en raison de l’action humaine. Ici, le 8e art sert d’acte militant pour dénoncer le dérèglement climatique, mais aussi de médium pour révéler la beauté infinie du monde naturel. Lumière sur certain·es artistes qui se dévouent à la cause environnementale : Alice Pallot, Letizia le Fur, Thomas Amen, Julie Arnoux, Claudia Fuggetti et Joel Redman.

Virus et toxicité

Consciente de la violence de l’impact des humain·es sur la planète, Claudia Fuggetti réalise Metamorphosis, une série d’images aux couleurs vibrantes qui dénonce le changement climatique et l’épuisement des ressources naturelles. « Je voulais remettre en question la manière dont nous considérons la nature comme séparée de l’humain, en m’interrogeant sur comment nous interagissons avec elle et comment nous en prenons soin », explique l’artiste italienne. Dans cette série, actuellement exposée au festival de la Jeune photographie européenne Circulation(s) à Paris, l’autrice explore les techniques analogiques et utilise des gélatines sur un flash pour former des formes virales sur ses photographies. « Elles symbolisent l’intrusion de la technologie et l’impact des êtres humains sur l’environnement. Ces formes reflètent l’idée d’une nature “infectée” par notre ingérence, que ce soit par la pollution industrielle ou l’ère numérique », raconte l’artiste.

Alice Pallot révèle avec science et subtilité l’omniprésence d’algues toxiques sur le littoral français, de la Bretagne jusqu’à la côte d’Opale. « Les algues génèrent une pollution visuelle, olfactive, mais surtout toxique. Lorsqu’elles ne sont pas ramassées, elles forment des amas qui pourrissent et libèrent un gaz, le H₂S : l’hydrogène sulfuré. Lorsqu’il est hautement concentré, il devient complètement nocif et mortel », raconte l’artiste qui, pour sa série Algues Maudites, s’est penchée sur le terrain infecté telle une chercheuse. À partir de prélèvements d’échantillons – jus noir, déchets, algues – elle compose un récit aussi poétique que funeste : celui de la mise à mort de la faune et la flore marine, et indéniablement de notre planète. « Il y a beaucoup d’études extrêmement intéressantes, mais absolument impénétrables (…) J’essaie donc de les rendre plus accessibles, de projeter un monde des possibles qui nous permet d’agir », conclut-elle.

Le travail de Letizia Le Fur à Tahiti n’a rien des images implantées dans l’imaginaire collectif des lagons turquoise et des forêts vierges verdoyantes. Si la photographe a initialement réalisé sa série Décolorisation en couleurs, elle applique un geste radical : basculer dans des nuances de gris. « J’ai senti une dichotomie entre ce que je voyais sur mes images et ce que j’avais ressenti là-bas », précise-t-elle. Cette œuvre, dont le titre n’est pas si éloigné du mot « décolonisation », fait écho aux essais nucléaires effectués à Mururoa et à Fangataufa entre 1966 et 1996 par la France. Les gris évoquent les nuages de cendres qui ont à cette époque pollué la faune et la flore de ces archipels du Pacifique. « Ces événements marquent encore les sols et résonnent toujours dans les esprits des Polynésien·nes », révèle l’artiste avant d’ajouter, « cette métaphore chromatique aborde la difficulté de maintenir, éveiller les cultures et identités d’un territoire annexé, et exploité. »

vue au microscope d'algue verte toxique
© Alice Pallot. Algues Maudites
© Alice Pallot. Red Bloom, Algues Maudites.
Décolorisation, 2024 © Letizia Le Fur, courtesy Galerie Julie Caredda – Paris
Décolorisation, 2024 © Letizia Le Fur, courtesy Galerie Julie Caredda – Paris
© Joel Redman
© Joel Redman

Protéger la beauté de la Terre

« La nature et cette terre fragile sont un cadeau qu’il est vital de protéger, en tant qu’individus ou que membres de communautés engagées, en nous soutenant tout au long du chemin. Si nous le faisons avec bienveillance et avec résilience, aussi souvent que possible, alors peut-être qu’une planète en bonne santé peut encore être envisageable », soutient Joel Redman. Cette réflexion est née de sa série The North Chose Us, où il s’intéresse aux Samis, une communauté indigène de Finlande dont les terres sont victimes de l’exploitation minière. À travers des images douces, il témoigne du lien profond qui existe entre ce peuple et la nature, et propose un retour à des modes de vie plus traditionnels. « La Finlande, contrairement à la Norvège, n’a pas ratifié la convention de l’Organisation indépendante du travail des Nations unies sur les populations autochtones, qui donnerait à cette population un droit de regard plus important sur sa patrie », ajoute-t-il pour énoncer le besoin de lever le voile sur la réalité des Samis face à l’exploitant capitaliste et l’éventuelle construction d’une voie ferrée par la Chine.

Thomas Amen compose un dialogue intime et extensif avec la nature, à la manière des peintres impressionnistes. En épuisant son sujet, que ce dernier soit l’eau, les fleurs ou les montagnes, il révèle la splendeur des paysages – infiniment grands ou infiniment petits – qui nous entourent. « L’appareil photo, c’est comme mon canevas vierge que j’enduis de peinture fraîche. Une fois chez moi, je le peins à coup de touches numériques, raconte-t-il. La nature fait tout, je suis seulement témoin de sa beauté. » Sa poésie visuelle rend hommage à la richesse de la planète Terre.

Les images des paysages de Julie Arnoux, passées en négatifs puis colorisées à la manière d’estampes japonaises, agissent comme un procédé de guérison pour l’écosystème qui brûle. Témoin de violents feux dans le bassin d’Arcachon, l’artiste conçoit Camsuza, un poème visuel qui célèbre la nature et la recentre au cœur de nos sentiments humains. « Il est très difficile de vouloir mettre des mots sur des émotions profondes, qui viennent des tréfonds et qui ne passent pas toujours par l’entendement. Mais je souhaiterais que chacun·e prenne le temps d’observer, de sentir, de réaliser à quel point la nature, la végétation, nos arbres sont des choses importantes pour notre équilibre mental et physique », avoue-t-elle. Par la beauté, elle tente de panser les maux et les cicatrices présents autant dans le sol que dans les corps et les âmes.

Champ de coquelicots.
© Thomas Amen
© Thomas Amen / Instagram
image d'un champ de fleurs un ciel rose, semblable à une estampe japonaise
Camsuza © Julie Arnoux
lac et une montagne semblables à une estampe japonaise
Camsuza © Julie Arnoux
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