Résidence 1+2 : liaison chimique entre sciences et photographie

24 octobre 2023   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Résidence 1+2 : liaison chimique entre sciences et photographie
Photo de classe © Marion Ellena
Orphys © Almudena Romero

Véritable laboratoire de recherche artistique et scientifique, la Résidence 1+2 interroge cette année la thématique des « re-connexions ». Fisheye sort son microscope afin de mettre en lumière les photographes exposé·es à l’occasion de cette 8e édition foisonnante !

Les univers de la photographie et de la science bouillonnent à Toulouse d’octobre à décembre 2023. Créée en 2016, la Résidence 1+2 réinvestit cette année divers lieux culturels de la ville rose et donne à voir des projets fascinants d’artistes engagé·es dans le vaste monde de la science. Almudena Romero, Marion Ellena, Téo Becher, les lauréat·es de cette 8e édition, présentent des recherches visuelles variées en collaboration avec des institutions scientifiques sous un thème précis, celui des « re-connexions ». « Ne sommes-nous pas tous, en tant qu’homo numericus, déjà connectés ? Alors à quoi se reconnecter ? » interroge Michel Poivert, historien de la photographie et parrain d’honneur du festival. En réfléchissant aux relations que l’humain entretient au végétal, à l’animal et à lui-même, les artistes exposé·es dévoilent des cheminements à mi-chemin entre l’art et les sciences et proposent de multiples réponses à cette tentative de reconnexion, qu’elle soit environnementale, sociétale ou mentale. 

Cône de sapin argenté, Muséum de Toulouse © Téo Becher
Souche, forêt de Grésigne © Téo Becher

Dans l’œil d’un pollinisateur

À la tombée du jour, nous nous immisçons dans une ruelle du centre-ville de Toulouse où se situe la charmante chapelle des Cordeliers, ancienne église désacralisée qui accueille désormais des expositions. Photographe de renom de cette nouvelle édition, Almudena Romero y présente The Museum of Plant Art, une magistrale installation immersive qui nous invite à partager le regard d’un pollinisateur butinant des fleurs. Tel un rideau jouant avec la transparence et la lumière, les cimaises de ce musée d’un nouveau genre affichent une importante légèreté et des couleurs iridescentes. Elles dévoilent également d’imposants tirages de photographies florales en noir et blanc, réalisées avec différentes prises de vues afin de restituer toutes les visions possibles chez les pollinisateurs. Réalisée en cellulose à base de plantes, cette installation nous permet de vivre une expérience sensorielle unique. « C’était crucial de trouver quelque chose d’écologique afin de montrer l’importance d’une matière durable. Il n’y a pas besoin d’un coup environnemental énorme pour partager sa pensée », précise l’artiste visuelle madrilène. Ondulant grâce à l’air ambiant et au passage des gens, ce voile magnétisant colore les fleurs monochromes de manière éphémère. À l’instar du vent qui, quant à lui, fait tourbillonner les pollinisateurs. En outre des propos scientifique et écologique, la photographe porte un discours engagé sur le monde de l’art. Elle explique la difficulté à penser à l’art des plantes, car nous n’en sommes tout simplement pas leur public originel. « La science prouve que les plantes existent depuis bien plus longtemps que nous », ajoute l’autrice. En collaborant avec le LIPME, Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, Almudena Romero explore avec poésie et ingéniosité les végétaux et dévoile leur capacité de création artistique. 

Non loin de la gare de Toulouse, le vent nous mène au centre culturel Bonnefoy où s’est installé Emmêlement et autres histoires de forêts, le projet de Téo Becher, photographe émergent lauréat de la résidence. À l’instar d’Almudena Romero, l’artiste français établi à Bruxelles s’interroge sur les liens entre la nature et la culture. Accompagné de chercheur·ses du laboratoire toulousain GEODE, Géographie de l’Environnement, le photographe explore les montagnes et forêts occitanes à la recherche de traces laissées par l’humain dans le paysage. À la fois brutes et expérimentales, ses images reflètent la complexité de la nature et nous invitent à la reconsidérer à sa juste, et grande, valeur. 

Magnolia © Almudena Romero
Lys © Almudena Romero
Playground © Marion Ellena

Réflexions sur la mémoire 

La déambulation se poursuit au centre culturel Bellegarde qui accueille les œuvres de la seconde lauréate de cette année, Marion Ellena. Tu te souviens de la couleur de ma chambre ? s’inspire d’une question que la photographe a posé à sa mère. « C’est en référence à la chambre dans laquelle j’ai grandi au Venezuela. J’étais persuadée qu’elle était vert turquoise, mais ma mère m’a répondu qu’elle était rose. Au final, je ne sais pas qui a raison. Ces réponses révèlent un oubli, un souvenir biaisé et une perception finalement influencée par nos expériences. La mémoire est imparfaite, plastique. Elle se transforme, se réécrit », relate la photographe désormais installée à Marseille. Dans cette exposition, nous sommes happé·es par des recherches visuelles sur les mécanismes de l’oubli et de la formation des souvenirs dans nos cortex cérébraux. 

L’expérience débute dans un long couloir où sont épinglées des images d’archives sur un mur recouvert d’un papier peint qui présente une coupe de cerveau de souris réalisée par le CRCA, Centre de recherche sur la cognition animale. Ces images orphelines, dénichées pour la plupart dans des brocantes, sont modifiées, altérées volontairement puis emballées individuellement afin de construire une forme d’intimité collective du souvenir. Ensuite, dans une première salle, Marion Ellena dévoile des visuels réalisés à l’aide d’un smartphone puis retravaillés par la suite. Majoritairement monochromes, dans des tons bleus, verts, ou encore rosés, les clichés constituent un panorama onirique et révélateur de notre mémoire à travers un téléphone portable, cette technologie qui se greffe à notre existence. Après s’être immiscée dans l’intimité d’inconnu·es par le biais d’archives, l’artiste explore la sienne dans une plus petite pièce ressemblant à une chambre à coucher où on peut notamment découvrir des extraits d’un journal intime. Enfin, l’exposition s’achève dans une salle plongée dans le noir où sont projetées des vidéos qui relatent son voyage au Pérou sur la terre de ses ancêtres et sa rencontre avec des archéologues, à la recherche d’une mémoire historique. 

Photo de classe © Marion Ellena
Photo de classe © Marion Ellena
Photo de classe © Marion Ellena
Cara verde © Marion Ellena
Scrolling © Marion Ellena
Cratère Descartes, LRV ou rover lunaire Apollo 16 Magazine 107/C – NASA photographs 1972 Unprocessed Hasselblad film scans by Johnson Space Center, circa 2005 Editing, creation 100×60 cm © Jef Bonifacino / Résidence 1+2 Factory 2023

Un pas vers la Lune 

Notre découverte du festival se termine à quelques pas seulement de la Lune, plus précisément à la Cité de l’espace de Toulouse. Lauréat de la Résidence Factory, programme parallèle de la Résidence 1+2, Jef Bonifacino révèle Unseen Apollo, un fascinant travail d’archives à partir de 145 pellicules contenant 19 788 prises de vue capturées par les astronautes du programme Apollo de la NASA. « En plus de leurs missions scientifiques, les astronautes réalisent des photographies avec des appareils moyen format Hasselblad. L’objectif initial de ces images, mises en ligne et en accès libre par la NASA, était principalement scientifique et politique. Pour les astronautes, le doute et l’hésitation n’étaient pas permis et il y avait peu de place durant leurs missions pour le rêve et la contemplation », précise l’artiste membre fondateur d’Inland. Alors que le prochain voyage sur la Lune est programmée à la fin de l’année 2024, Jef Bonifacino tient à rendre visibles ces nombreuses archives réalisées de 1961 à 1972, dates de la première et dernière mission effectuée à ce jour. 

« Lorsque j’ai visionné les scans, j’ai reconnu mon cadre, je comprenais leurs intentions photographiques et j’ai su que je pouvais respecter et retravailler cette matière afin d’en extraire une vision juste et originale », confie le photographe qui travaille également avec un appareil moyen format Hasselblad depuis vingt ans. Il s’inspire alors du processus d’assemblage réalisé dans son œuvre Proximité(s) et effectue la même chose, mais avec la Lune. Les archives ne sont pas recadrées et sur chacune apparait le numéro de la mission ainsi que de la pellicule pour d’illustrer une partie de l’histoire de ce boitier. « Dans Unseen Apollo, la lumière devient sujet. S’émerveiller est permis, être perdu est permis, disparaître est possible », conclut Jef Bonifacino. Un projet d’envergure qui laisse des étoiles plein les yeux… 

Mont Hadley, rover et astronaute avec appareil photographique Hasselblad Apollo 15 magazine 85/LL – NASA photographs 1971 Unprocessed Hasselblad film scans by Johnson Space Center, circa 2005 Editing, creation 130×60 cm © Jef Bonifacino / Résidence 1+2 Factory 2023
Monts Apennins, LM ou LEM (module lunaire) Apollo 15 Magazine 82/SS – NASA photographs 1971 Unprocessed Hasselblad film scans by Johnson Space Center, circa 2005 Editing, creation 145×60 cm © Jef Bonifacino / Résidence 1+2 Factory 2023
Vallée de Taurus-Littrow et LRV, le rover lunaire, Apollo 17 Magazine 146/F – NASA photographs 1972 Unprocessed Hasselblad film scans by Johnson Space Center, circa 2005 Editing, creation 110×60 cm © Jef Bonifacino / Résidence 1+2 Factory 2023

The Museum of Plant Art d’Almudena Romero à la chapelle des Cordeliers du 14 octobre au 26 novembre 2023. 

Emmêlement et autres histoires de forêts de Téo Becher au centre culturel Bonnefoy du 9 octobre au 9 décembre 2023. 

Tu te souviens de la couleur de ma chambre ? de Marion Ellena au centre culturel Bellegarde du 12 octobre au 9 décembre 2023. 

Unseen Apollo de Jef Bonifacino à la Cité de l’espace du 1er septembre 2023 au 1er janvier 2024. 

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