De ses débuts en tant que photographe à son amour pour l’art contemporain en passant par ses multiples engagements sociaux, la rétrospective Viva Varda! dévoile avec créativité et émotion le parcours pluriel de la cinéaste. Une exposition sans précédent sur la vie d’Agnès Varda à découvrir jusqu’au 28 janvier 2024 à la Cinémathèque française.
« Élevée dans les odeurs de solvants », c’est le cœur rempli de souvenirs et les yeux brillants d’émotion que Rosalie Varda, la fille d’Agnès Varda, nous guide à travers les cimaises de la grandiose rétrospective dédiée à l’artiste pluridisciplinaire. De précieux secrets à des archives inédites, Rosalie Varda, directrice artistique de l’exposition et de la société Ciné-Tamaris, nous livre, au fur et à mesure de la visite, des anecdotes retraçant la vie professionnelle, la modernité, mais surtout la curiosité qui animait sa mère. Passions, amours et créations, Viva Varda! affiche la cinéaste sous tous les angles, du plus intime au plus réputé. Un parcours thématique, et non chronologique, dépeignant, avec justesse, les nombreuses vies d’Agnès Varda.
« Après son décès en 2019, nous avons trouvé une planche contact d’autoportraits dans son labo studio photo », se remémore Rosalie Varda. Raconter la première vie d’Agnès en tant que photographe sonne alors comme une évidence. Diplômée d’un CAP en photographie en 1949, elle pose ses valises et ses pellicules deux années plus tard dans sa mythique maison-studio du 14e arrondissement de Paris, rue Daguerre, qu’elle ne quittera jamais. « Son père lui avait proposé de lui offrir un appartement, elle a dit non, qu’elle voulait avant tout un atelier, laboratoire, studio pour sa pratique photographique », précise sa fille. Autoportraits avec sa coupe au bol qu’elle arborait déjà fièrement ou compositions en noir et blanc dévoilant son vif intérêt pour le nu, ses travaux personnels se révèlent être assez méconnus du grand public. Elle réalisera sa toute première exposition en 1954, dans la cour de son lieu de vie et de création. En parallèle, la glaneuse d’images travaille comme photographe professionnelle, notamment pour le TNP, Théâtre national populaire, de Jean Vilar afin d’immortaliser les répétitions des pièces de théâtre. « Elle avait le droit d’aller sur le plateau, de stopper la mise en scène. Certaines fois, les comédien·nes étaient habillé·es et maquillé·es que pour elle. Agnès a été nourrie de cette richesse », déclare Rosalie Varda.
De l’image fixe à l’image animée
Apportant une grande influence sur sa maîtrise, Jean Villar a été très important dans la vie d’Agnès en l’initiant à la caméra. Et, lorsque la photographe décide de réaliser son premier long métrage en 1954, La Pointe courte, le placement de la caméra et les cadres n’étaient plus un problème pour elle étant donné qu’elle s’était déjà exercée. Bien qu’elle est gagnée sa vie comme photographe jusque dans les années 1960, ses films affichent une attirance assumée pour la photo. Elle ne cessera de questionner l’image, dans ce qu’elle peut révéler, ou non. En 1982, Agnès Varda apporte un regard novateur sur le 8e art sur un canal étonnant : la télévision. Une minute pour une image présentait un cliché unique que les téléspectateurices pouvaient contempler silencieusement, durant plusieurs secondes. Un programme absolument audacieux et avant-gardiste pour l’époque.
Bien plus que sa passion pour la photographie, ses nombreux documentaires, courts et longs métrages mettent avant tout en lumière son profond respect et son empathie pour les « laissés-pour-compte ». « Elle a eu toute sa vie une forme de générosité assez extraordinaire et elle l’a illustrée dans certaines œuvres. Elle aimait beaucoup parler aux gens qu’elle ne connaissait pas et s’intéressait aux personnes en marge de la société comme en témoigne L’Opéra-Mouffe. Elle racontait la dureté et le fait que, peut-être qu’un jour ces gens-là aussi ont été aimés », témoigne Rosalie Varda. Dans un autre registre, mais tout aussi empli d’empathie, Agnès Varda signe en 1962 son premier grand succès qui lui permettra de se faire connaitre à l’international : Cléo de 5 à 7. Père de Rosalie Varda, Antoine Boursiller y incarnera l’un des personnages. « Iels s’étaient séparé·es en 1958, mais sont resté·es en bons termes. C’est joli de rester ami·es avec d’anciens amours », confie leur fille. Altruiste et bienveillante, la cinéaste gardait absolument tout de ses films, constituant aujourd’hui une véritable mine de richesse. Costumes et accessoires brillent dans les vitrines de l’exposition, aux côtés des photographies de tournages dont certaines n’avaient jamais été dévoilées.
Une vie engagée, de l’art contemporain, et des chats
Tout au long de sa vie, Agnès Varda se lie d’amour ou d’amitié avec des personnalités issues de divers univers artistiques qui ont énormément compté pour elle. Sa compagne d’un temps, la sculptrice et céramiste Valentine Schlegel, le metteur en scène Jean Vilar, l’actrice Catherine Deneuve figurant dans plusieurs de ses réalisations, ou encore son mari et fidèle allié Jacques Demy… Elle ne cessera d’enrichir son âme et ses pensées de toutes ses rencontres de milieux variés. Mais aussi de ses voyages autour du monde dont elle collectionnera de nombreux clichés. À l’aide d’un Rolleiflex et d’un Leica, elle parcourt notamment Cuba et la Chine. De ce dernier pays où elle a vécu, résulte une série documentaire d’images exaltantes de familles et enfants dans des provinces reculées. Engagée sur diverses thématiques sociétales, Agnès Varda faisait partie de plusieurs mouvements féministes. « J’ai été dans des manifestations avec elle. Avec Jacques, iels prêtaient leur maison pour des avortements illégaux. Le féminisme n’est pas un sujet, car il fait entièrement partie de sa vie », confie Rosalie Varda, avant de poursuivre : « Électron libre, elle avait une forme de liberté qui faisait que les producteurs avaient peur d’elle. »
Que serait-ce Agnès Varda sans son amour pour les chats ? Sa passion pour les félins transcende son quotidien, et cette rétrospective l’illustre avec tendresse en donnant à voir une vitrine abritant sa collection personnelle de petits objets à l’effigie de nos amis à quatre pattes. Elle gardait les choses et l’idée d’accumulation lui plaisait. Lors de ses dernières années d’existence, l’art contemporain prend d’ailleurs une place importante. Sa collaboration avec le créatif JR signe une belle fin de vie et de carrière pour Agnès Varda. « Il y avait 55 ans d’écart entre les deux, mais c’était extraordinaire, car iels parlaient le même langage, c’était un peu comme un vieux couple, avec beaucoup de taquineries. Elle a travaillé jusqu’à la fin. Elle a eu une chance et un luxe énorme de pouvoir continuer à se réinventer », conclut sa fille.